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lation industrielle, qui favorisait les patrons en interdisant toute entente entre les ouvriers, pendant que la législation commerciale les protégeait au détriment de la masse des consommateurs. L’abus des influences électorales dans les distributions des emplois publics continua de même à s’étendre, et comment en aurait-il été autrement? Toute la puissance politique était concentrée dans le pays légal. La France ne possédait pas même, comme d’autres nations constitutionnelles à suffrage restreint, l’Angleterre et la Belgique, les libertés de la presse et de la tribune, qui donnent à la généralité des citoyens les moyens d’influer, au moins d’une manière indirecte, sur la gestion des affaires publiques, et qui fournissent ainsi un contre-poids au monopole politique des censitaires. Ces libertés, la monarchie de juillet, violemment attaquée par les légitimistes unis aux républicains, n’avait pas cru pouvoir les supporter. Ne devait-il pas arriver tôt ou tard que la masse exclue sans aucune compensation du pays légal essaierait d’y entrer, et qu’à défaut de la voie trop rétrécie de la légalité elle y entrerait par la brèche de la révolution? Combien en Angleterre la classe dirigeante avait été plus sage ! Elle avait pris sous sa sauvegarde les libertés qui servaient de contre-poids nécessaire à son pouvoir; elle avait fait mieux, elle avait obéi aux mouvemens de l’opinion soulevée par ces puissans instrumens d’agitation. En 1831, elle consentait à élargir sa base par une réforme électorale, et de 1822 à 1846 elle abandonnait successivement toutes les lois qui protégeaient ses intérêts spéciaux contre ceux des masses dépourvues de droits politiques, depuis les lois sur les coalitions jusqu’aux lois céréales. Grâce à cette politique généreusement et habilement réformiste, elle désarmait la révolution, que les « conservateurs-bornes » rendaient inévitable en France.

Par une réaction naturelle, la révolution de février supprima et la monarchie et le « pays légal » qui lui servait d’appui. Elle voulut établir le gouvernement de la nation par la nation en lui donnant pour base le suffrage universel. En vertu de la constitution de 1848, tous les Français, à l’exception des mineurs et des incapables civilement, furent appelés à élire d’une part les membres de l’assemblée législative, de l’autre le président de la république, chef du pouvoir exécutif. Quoi de plus simple et en apparence aussi quoi de plus conforme aux principes de la démocratie, mais, hélas! quoi de moins pratique? Si cette simplicité et cette symétrie des rouages constitutionnels pouvaient plaire aux esprits mathématiques, suffisaient-elles bien à résoudre le problème du gouvernement dans un état social aussi compliqué que le nôtre? Le régime établi par la constitution de 1848 était-il propre à garantir à la France ces biens