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même elle ne proviendrait point de l’élection, et se trouverait en présence d’une chambre élective. Or une première chambre qui représenterait en France l’ancien pays légal de la monarchie de juillet, et qui aurait de plus la nomination du chef du gouvernement au nombre de ses prérogatives, ne jouirait-elle pas, à ce double titre, d’une autorité supérieure à celle de la chambre des lords?

Dira-t-on qu’une institution de ce genre est incompatible avec les principes de la démocratie moderne, et qu’il faut à la France de 89 non point une république aristocratique ou bourgeoise, mais une république démocratique, quelques-uns ajouteront même sociale? Cette objection serait fondée peut-être, s’il s’agissait de donner pour base unique au futur établissement constitutionnel un pays légal composé de censitaires; en ce cas, la république aurait bien en effet un caractère aristocratique ou bourgeois, et il y a quelque apparence aussi que la masse de la nation exclue du pays légal ne tarderait guère à se soulever de nouveau contre ce monopole politique reconstitué sous une enseigne républicaine; mais une république qui, mettant à profit tant et de si coûteuses expériences, s’appliquerait à remettre le pouvoir aux plus capables et à préserver la propriété de toute atteinte, en accordant néanmoins aux plus obscurs citoyens leur part légitime d’influence dans la gestion des affaires publiques, serait-elle incompatible avec les principes de la démocratie? Ne serait-elle pas au contraire la meilleure sauvegarde contre toute espèce de domination tyrannique, à commencer par celle du nombre, la plus insupportable, car elle est la moins éclairée? D’ailleurs il faut que les démocrates en prennent leur parti : la république ne pourra s’établir définitivement en France, elle ne défiera les compétitions monarchiques qu’à la condition de mieux garantir que la monarchie ne pourrait le faire la sécurité avec la liberté. Voilà le but que tous les républicains de bon sens doivent se proposer aujourd’hui, et ce but ne pourra être atteint que par une « république tempérée. »


G. DE MOLINARI.