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ne peut pas refuser non plus de doter des conditions de sécurité sociale et politique inhérentes à un régime régulier. Il s’agit de combiner ces élémens divers, de faire marcher d’intelligence ces deux pouvoirs que la prudence la plus vulgaire défend de séparer, et de les concilier sur le terrain de cette république dont M. Thiers a dit qu’elle resterait conservatrice, ou qu’elle ne serait pas.

Le problème n’est point facile à résoudre sans doute. Les complications se multiplient aussitôt qu’on aborde les solutions pratiques, dès qu’on touche à cette création d’une seconde chambre en présence d’une assemblée souveraine, dès qu’on veut définir et régler les attributions, les rapports des pouvoirs qui existent aujourd’hui. Les antagonismes mêmes qui se sont produits, les incidens qui se sont succédé, ajoutent aux difficultés ; tout cela est possible, nous en convenons. Au-dessus de toutes les questions secondaires, il y a cependant une question supérieure qu’un des membres les plus éclairés de l’assemblée, M. Henri Germain, précisait récemment avec une singulière netteté. Au-dessus de tous les détails d’exécution, il y a cette nécessité souveraine, dominante, de ne pas rester indéfiniment à la merci des conflits, des chocs et des aventures, de ne pas maintenir une incohérence ruineuse pour le présent en vue d’un avenir incertain et insaisissable. De toute façon, puisqu’on a mis la main à l’œuvre aujourd’hui, on ne peut plus s’arrêter, il faut aller jusqu’au bout. Reculer devant un tel problème serait désormais le plus triste aveu d’impuissance, et le parti conservateur français est le premier intéressé à préparer, à créer une organisation publique devenue nécessaire, précisément parce qu’il a la légitime ambition d’offrir plus que tout autre au pays les garanties de sécurité, de fixité dont il a besoin maintenant plus que jamais. M. Germain le dit avec bon sens : « Serait-il prudent que l’assemblée se séparât sans avoir créé les organes essentiels d’un régime régulier ?.. Ne vaut-il pas mieux que notre régime politique ait été défini avant les élections prochaines ? Le parti conservateur n’a-t-il pas le plus grand intérêt à trancher cette question, afin de ne pas engager la lutte électorale sur la forme du gouvernement ?.. » Qu’arriverait-il, si par une sorte d’abandon sans prévoyance on se laissait aller au courant des choses sans rien préparer, sans rien créer, ou si l’on attendait le dernier moment pour faire une sorte de constitution testamentaire ? On se présenterait aux élections avec des forces divisées et indécises, avec des résolutions sans autorité sur l’opinion, avec ce dangereux relief d’une assemblée qui aurait manqué de confiance et d’initiative, qui aurait laissé échapper l’occasion la plus favorable pour accomplir un grand acte politique. Eût-on été en mesure de se servir du [louvoir, de changer quelques administrateurs, le pays n’arriverait pas moins au scrutin plein de perplexités, exposé à d’irréparables méprises. On n’aurait fait ni les affaires de la France, ni les affaires du