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que le déplacement ministériel qui vient de s’accomplir a quelque importance dans la situation intérieure de la Prusse. D’abord le nom même du nouveau président du conseil a sa signification. Le général de Roon n’est pas le premier venu ; « il ne nous a pas habitués à le regarder comme un homme de paille, » disait récemment un député, M. Virchow, qui cherchait le sens de cette nomination. Le général de Roon en effet est un des réorganisateurs de l’armée prussienne ; il est un de ceux qui ont contribué aux victoires allemandes. Il jouit de la confiance intime, de la faveur particulière du roi, qui voit en lui un de ses serviteurs les plus habiles et les plus dévoués, et qui vient de couronner sa longue carrière militaire du titre de feld-maréchal. Par lui-même, un tel homme n’est pas fait pour jouer un rôle banal de prête-nom, et la preuve, c’est que, si le premier jour il n’a été qu’un président du conseil par le privilège de l’âge, il est devenu bientôt un chef de ministère réel et complet institué par le souverain. De plus il est avéré que depuis quelque temps le général de Roon se montrait assez opposé à certaines lois libérales soutenues par le gouvernement, si bien qu’il avait cru devoir donner sa démission par raison de santé, et il a retrouvé la santé, il a retiré sa démission pour devenir président du conseil. Par le fait, le général de Roon représente au pouvoir les répugnances du parti féodal et religieux contre les lois réformatrices, et un peu aussi peut-être les susceptibilités du parti militaire vis-à-vis de la prépotence de M. de Bismarck. En un mot, la dernière crise ministérielle de Prusse est un incident qui a déjà la signification la plus sérieuse et qui peut avoir les conséquences les plus imprévues.

Que faut-il conclure de ces explications diverses ? Il y a peut-être une certaine part de vérité dans les unes et dans les autres. Il est possible en effet que le ministère prussien reconstitué sous les auspices du général de Roon soit par la force des choses comme un point d’arrêt dans la politique réformatrice inaugurée depuis quelque temps à Berlin, dans cette sorte de guerre engagée centre les influences aristocratiques et cléricales, et ce qui tendrait à le prouver, c’est que déjà on paraît avoir retiré un projet sur le mariage civil. Il est possible que l’empereur Guillaume, en chargeant M. de Roon de faire de la temporisation, de la conciliation avec le parti féodal et religieux, n’ait fait que revenir à de vieilles préférences, qu’il ait cédé à un penchant secret que M. de Bismarck lui-même aura voulu ménager. De deux choses l’une : ou cette politique réussira, et M. de Bismarck en tirera parti comme de toute autre combinaison, — ou elle échouera, et le chancelier restera plus que jamais maître de la situation. De toute façon, comme ministre des affaires étrangères de Prusse, comme chancelier de l’empire, et plus encore par l’autorité de son esprit, de sa hardiesse, de ses services, il garde évidemment la haute direction de la politique de l’Allemagne. Au