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perçoit la rétribution scolaire, et la caisse communale se borne à compléter le chiffre. C’est un système mixte. De bons esprits pensent qu’il est le meilleur, et M. de Laveleye, si nous avons bien saisi le fond de sa pensée, s’en contenterait au besoin; mais, comme le mieux est l’ennemi du bien, il se prononce en faveur de la gratuité absolue, c’est-à-dire de la répartition des frais scolaires sur l’ensemble des habitans en proportion de leur fortune, et non sur les pères de famille seulement,

La thèse la plus difficile que M. de Laveleye ait eu à soutenir, c’est l’école laïque. Les esprits religieux pourront se mettre d’accord avec les indifférens et même avec les athées sur la justice de l’obligation et sur la nécessité de la gratuité, mais ils auront de la peine à bannir de l’école la religion. Ils veulent avec M. Guizot que « l’atmosphère de l’école soit religieuse, » et ils ne croient pas y parvenir sans l’enseignement du dogme. M. de Laveleye ne se dissimule pas la gravité de la question, mais il l’aborde sans hésiter. Il commence par reproduire tous les argumens qu’on a fait valoir en faveur des écoles soumises à la direction du clergé (catholique ou protestant), puis il présente les argumens opposés. Ce n’est qu’après avoir ainsi mis le lecteur au courant de la question qu’il pèse le pour et le contre et formule ses conclusions. « Du moment, dit-il, qu’on admet que l’état repose sur la raison et les églises sur la révélation divine, rien n’est plus facile ni plus essentiel que de respecter cette distinction dans l’école; il suffit de dire que l’instituteur enseignera la morale et le prêtre le dogme. De cette façon nul empiétement n’est à craindre : chacun reste dans le domaine où il est souverain. »

L’enseignement de la morale se trouve ainsi séparé de l’enseignement de la religion; mais n’allez pas en conclure que M. de Laveleye soit partisan de la morale indépendante, de la morale sans base religieuse. Il rejette loin de lui pareille doctrine; il déclare impossible de parler de devoir sans parler en même temps de Dieu et de l’immortalité de l’âme. Pour inculquer dans le cœur des enfans les notions du bien et du mal, il faut exposer dans l’école les idées religieuses générales qui leur servent de base, ainsi que cela se fait dans quelques pays. Or ces principes de morale et de religion ne sont point le monopole du clergé, et il appartient à l’instituteur de les faire connaître. Ceux qui revendiquent cet enseignement exclusivement pour le clergé tendent, sciemment ou non, à soumettre le civil au spirituel, l’état au sacerdoce, en un mot à établir une théocratie. « Si la raison humaine, dit M. de Laveleye, par ses propres forces et sans le secours de la révélation, ne peut s’élever aux notions du bien et du juste, le laïque est incapable de gouverner sans le secours de la puissance qui est le dépositaire de ces vérités, et le pape est, comme il le prétend, le souverain maître des