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II.

L’excursion nautique dont j’ai esquissé les incidens divers et les résultats les plus évidens étant accomplie, l’objet principal de mon voyage aux Açores se trouvait atteint. Pour compléter l’exécution du plan que je m’étais tracé avant mon départ de France, il ne me restait plus qu’à entreprendre paisiblement l’exploration géologique de quelques-unes des îles; mais, le bateau à vapeur postal ne faisant qu’une fois par mois la tournée des Açores, je me vis retenu pendant près de quatre semaines encore à Terceire. La navigation à voiles entre ces îles n’a rien de régulier, et à partir de l’équinoxe d’automne jusqu’au printemps elle est sujette à des dangers ou au moins à de longues interruptions. Le manque de refuges sur la plupart des côtes, l’abondance des récifs, la profondeur de la mer aux abords des falaises, la fréquence des ouragans, y occasionnent de nombreux sinistres. Il n’est point rare durant la mauvaise saison qu’une embarcation soit détournée bien loin de son chemin par de violens vents contraires. Il y a quelques années, deux frères de Santa-Maria, qui voulaient transporter des provisions de leur île à San-Miguel, furent assaillis par un vent d’ouest si fort et si persistant qu’ils ne trouvèrent rien de mieux que de se diriger sur Lisbonne. Ils arrivèrent à l’entrée du Tage au bout de onze jours sans que la tempête leur eût laissé un moment de répit. Un autre bateau, qui allait avec une charge de bois de San-Jorge à Terceire, fut entraîné par l’action combinée des vents et du courant de l’une des ramifications du gulf-stream et rencontré à plus de 200 lieues au nord-ouest des Açores. Le cas le plus singulier est celui d’un juge qui, regagnant Terceire au retour de sa visite annuelle à Graciosa et San-Jorge, fut poussé sur les côtes du Brésil, d’où il fut ramené à Lisbonne; de là il revint enfin dans ses foyers, après avoir fait une tournée bien différente de celle qu’il avait l’habitude d’accomplir.

Sur les neuf îles qui composent le groupe açorien, Fayal et Terceire seules possèdent des baies offrant un asile, assez peu sûr d’ailleurs, contre les vents impétueux qui règnent souvent dans cette région. J’ai été, en décembre 1867, témoin d’une de ces tempêtes, et je frémis encore en pensant aux désastres qui sont arrivés sous mes yeux. Le bateau à vapeur sur lequel je me trouvais fut assailli par l’ouragan à la tombée de la nuit, dans la baie de Horta, capitale de l’île de Fayal. Les bâtimens d’un faible tonnage qui étaient à l’ancre furent bientôt enlevés et jetés à la côte. Près de nous, un grand trois-mâts, qui devait partir le lendemain pour le