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L’intérêt, sous le nom de profit, de bénéfice, reparaît en effet dans le prix des choses non moins que dans le prêt ; il est dans tout loyer, rente, d’un immeuble comme d’un bien meuble. Nous demandons « quelle part » on peut faire à un tel système ; nous demandons aussi de quels côtés de l’horizon on en voit poindre l’avènement. Serait-ce dans une baisse réelle, qu’on suppose devoir être constante, de l’intérêt ? Mais si l’intérêt, qui dans le cours du temps a baissé, doit baisser encore, en vérité les idées de Proudhon n’y sont et n’y seront pour rien. L’économiste Frédéric Bastiat, que nous citons de préférence parce qu’il a combattu les idées de Proudhon après 1848, notamment sur la gratuité du crédit et la fameuse banque d’échange, cette combinaison qui donne une faible idée des facultés pratiques de Proudhon, Bastiat croyait aussi à cette baisse constante, qu’il s’exagérait peut-être un peu. Il n’admettait pourtant pas qu’elle pût tomber à zéro. Il se servait à ce sujet d’une comparaison assez plaisante. Parlant de certains moutons dont les éleveurs ont pu réduire la tête à des proportions de plus en plus exiguës, il demandait ce qu’il faudrait penser du logicien qui en conclurait qu’un moment viendra où les moutons pourront vivre sans tête. Vivre sans intérêt ne paraissait pas à l’ingénieux économiste un problème qui fût plus soluble. N’était-ce pas dire que Proudhon avait, en économie sociale, cherché la quadrature du cercle ?

Il est facile de même au biographe de Proudhon de déclarer qu’en théorie, en droit, sa réfutation des défenseurs de la propriété est « victorieuse et décisive ; » nous n’en croyons rien pour notre compte. Il ne suffit pas qu’il ait dévoilé certaines faiblesses et contradictions des théoriciens. Sans doute Pascal, cité par M. Sainte-Beuve, prononçait, lui aussi, un des premiers le mot d’usurpation à propos de l’occupation de la terre ; il n’est guère à croire que Pascal persisterait dans ce mot, jeté en passant sur un sujet auquel, disons-le, ce vaste et puissant esprit n’avait pas consacré de bien longues méditations. Il vaudrait la peine de tenir quelque compte des explications où sont entrés des économistes comme Quesnay, des philosophes comme Locke, et beaucoup d’autres, sur la propriété foncière, avant de trancher la question. Enfin, ce qui est plus concluant même que les autorités, les faits ont prononcé. Ceux qui voient-dans l’appropriation primitive une usurpation faite sur le genre humain peuvent aujourd’hui s’assurer de ce que vaut le sol avant d’avoir été approprié. Les exemples ne manquent pas ; il est loisible de les chercher dans les terres de l’Amérique, dans les colonies, en Algérie si l’on veut. Et encore, lorsqu’on dit qu’aux États-Unis la terre disponible s’est vendue au faible prix de 1 dollar l’acre, cette valeur signifie beaucoup moins