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dominions encore la surface des nuages ; nous les voyions rouler, tourbillonner, se précipiter contre la face occidentale du mont, et s’y diviser en deux grands courans, fuyant vers l’est de chaque côté avec une incroyable rapidité. Cependant la nuée s’élevait toujours ; enfin une rafale plus forte nous engloutit dans la brume, et nn brouillard opaque nous déroba jusqu’à la vue du sol que nous foulions ; c’est en tâtonnant qu’il fallut nous guider au milieu des inégalités du terrain pour chercher un endroit un peu abrité. Une crevasse irrégulière s’allonge près du bord du cratère et y forme comme un étroit fossé encombré de gros fragmens de lave. Quelques-uns de ces blocs laissent entre eux une sorte de grotte que je choisis pour lieu de séjour. Je n’oublierai jamais les longues heures d’ennui que j’ai passées dans ce sombre réduit, obligé d’allumer de la bougie eu plein midi pour lire, et n’ayant pas même une touffe de bruyère pour faire du feu et sécher mes habits trempés par la brume. Au moment où j’éclairai pour la première fois le fond de la grotte, de gros papillons de nuit, troublés dans leur sommeil par l’éclat de la lumière, s’échappèrent des anfractuosités du rocher et voltigèrent lourdement autour de ma tête ; puis tout rentra dans l’immobilité, et le premier jour je n’entendis plus d’autre bruit que le frôlement du vent contre les rochers et les ronflemens de mon guide, qui dormait dans un coin, roulé dans sa couverture. Une distraction inattendue interrompit le surlendemain, pendant quelques heures, le cours de mes rêveries. Sur les rochers qui dominaient l’entrée de mon gîte retentit tout à coup le gracieux babil d’une petite lavandière (motacilla sulfurea). À cette altitude élevée, les sons semblent secs et dépourvus d’écho, mais le rhythme n’en est que plus clair et le débit plus limpide. Une éclaircie d’un instant me fit apercevoir à quelques pas de moi, sur l’arête d’une grosse pierre, le charmant petit chanteur dont les accens secouaient fort à propos ma torpeur. Sa gaie mélodie semblait vouloir me consoler du triste linceul de vapeurs froides dont j’étais enveloppé. Mon guide, habitué comme tous les gens de la campagne à reconnaître les oiseaux à leur chant, aurait pourtant douté du témoignage de ses oreilles, s’il n’avait vu de ses propres yeux la jolie petite lavandière, avec les plumes jaunes éclatantes de ses ailes et son hochement de queue caractéristique. C’était la première fois qu’il entendait un oiseau dans la région nue du pic, et son étonnement était d’autant plus grand que la lavandière aime surtout les endroits bas et humides des pâturages. Un grain de superstition se mêlait peut-être aussi à son admiration, car pour les Açoriens la lavandière est sacrée. D’après une légende populaire parmi eux, lorsque la sainte famille dut chercher un refuge en Égypte contre la cruauté d’Hérode, la caille