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de la nuée, la neige se conserve toute l’année dans les crevasses du bord méridional du cratère, et un petit réservoir, taillé naturellement dans un gros bloc de rocher, fournit en tout temps une provision certaine d’eau potable.

Trois jours s’étaient déjà écoulés depuis que j’étais installé au sommet du pic, et le brouillard ne perdait rien de son intensité. Mes provisions étaient épuisées, le nivellement projeté devenait impossible à cause de la demi-obscurité où tout était plongé en plein midi ; je repris le chemin de la descente, et rentrai le soir à la maison hospitalière du consul français, sur la plage d’Area-Larga, épuisé de fatigue et brisé par l’insuccès de ma tentative de travail.

L’île de Pico ne possède encore que quelques tronçons de route carrossable, et les anciens chemins n’y sont le plus souvent que des sentiers raboteux : aussi n’y voit-on circuler ni voitures ni chariots d’aucune espèce. Les bêtes de somme y sont très rares. À chaque pas, on rencontre des hommes et des femmes portant sur la tête de lourds et volumineux fardeaux, et marchant néanmoins d’un pas leste dans les endroits les plus rocailleux.

Le costume des gens de Pico diffère beaucoup de celui des habitans de Terceire. Le lourd manteau de drap noir des dames de Terceire y est inconnu, et la capuche des hommes est remplacée par un simple chapeau de paille à larges bords. Les femmes sont coiffées d’un chapeau de paille de même forme. Leurs bras sont à demi nus ; autour des reins, elles ont un jupon court de laine bleue, à bordure rouge ou jaune ; à leur côté pend une aumônière bariolée de diverses couleurs. L’habitude de porter des objets pesans en équilibre sur la tête leur développe la poitrine et leur donne une tournure martiale. Elles marchent toujours nu-pieds, tandis que les hommes ont le plus souvent des sandales en peau de chèvre.

Il n’y a d’auberge dans aucun des villages de Pico ; quand on veut faire le tour de l’île, on doit à l’avance se munir de lettres de recommandation, et quêter l’hospitalité de village en village, suivant le procédé antique. Partout vous trouvez un accueil cordial ; mais la composition du souper qui vous attend varie beaucoup avec le degré d’aisance de l’hôte qui vous reçoit : tantôt on vous sert une poule au pot cachée sous un amas appétissant de riz, tantôt le menu est plus maigre et se compose seulement de fromage et de pain de maïs. Une bonne tasse de thé clôt presque partout le repas, qu’il soit succulent ou frugal. Le coucher n’est pas moins varié que la nourriture : une nuit, vous dormez sur un large lit en bois sculpté, garni de franges et de draperies ; le lendemain, un simple grabat vous procure un sommeil tout aussi profond que celui dont vous aviez joui sous le monumental baldaquin de la veille.