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Açores, ont lieu, avec quelques variations, dans tous les villages des îles de cet archipel. Dans chaque localité, un certain jour de l’année, généralement le jour de la fête du patron, les habitans du village se rendent à l’église après s’être concertés entre eux sur le choix d’un des notables du pays, qui, sous le titre l’imperador (empereur), doit jouer le principal rôle dans la solennité. Une messe est célébrée en grande pompe) à un certain moment de l’office, l’élu du suffrage populaire s’avance au pied de l’autel, le prêtre lui met sur la tête une couronne en clinquant et dans la main un sceptre doré, parfois on lui confie en même temps une petite statue du patron du village. La messe terminée, il sort de l’église, accompagné de la foule dés assistans, et on le conduit triomphalement, au son des guitares, jusqu’à un petit édifice soutenu par des colonnes et garni intérieurement de bancs en pierre. Ce modeste monument se nomme le théâtre ou le Spiritu santo. Chaque village possède le sien. L’imperador s’assied sur le banc du fond, entouré des notables ; devant lui est dressée une table sur laquelle chacun apporte son offrande : des pains, des fruits, des légumes, des volailles, des moutons, des chevreaux, etc. L’imperador contribue naturellement pour la plus grosse part. Celui de San-Roques, récemment échappé à un naufrage, avait, m’a-t-on dit, fait tuer cinq bœufs pour fêter à la fois son sauvetage et son nouveau titre. Le tas de provisions est distribué aux pauvres du village ; quand la table est vide, le cortège reprend sa marche et conduit l’imperador à sa demeure. Un grand festin est préparé pour les amis du maître de la maison. Dans la soirée, les danses commencent et se prolongent toute la nuit. Tous les habitans du village y sont admis sans distinction de fortune ou d’âge, et paraissent y prendre le plus vif plaisir. La statue du saint, placée sur une estrade chargée d’ornemens, semble présider à la fête. La danse la plus ordinaire est la chamarita ; elle a lieu en rond et se compose de mouvemens de balancement assez semblables à ceux de la bourrée de nos paysans d’Auvergne. Les assistans chantent alternativement deux strophes, avec accompagnement de guitares et sur des airs qui varient peu. Des improvisations, des réminiscences, fournissent les paroles du chant. Les improvisateurs, hommes ou femmes, ont souvent une facilité de composition extraordinaire. Il arrive fréquemment que les strophes se répondent et que les chanteurs entament un véritable tournoi poétique ; quelquefois aussi des répliques malignes se succèdent et s’entre-croisent. Les danses se répètent ainsi, une ou deux fois par semaine, pendant un mois. Au bout de l’année, l’imperador reporte à l’église du village son sceptre, sa couronne et la statue du saint, et cède son titre à un nouvel élu.