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l’industrie du change, et s’étayant des principes d’une sévère économie, avait singulièrement enrichi les banquiers florentins, qui soutenaient de leur crédit les divers états de l’Europe. C’étaient à la fois, comme on l’a dit depuis de quelques-uns de leurs plus illustres successeurs, les rois des banquiers et les banquiers des rois. Villani appelle lui-même les Bardi et les Peruzzi « les colonnes du commerce de la chrétienté. » Les rois de Calabre, d’Angleterre, de France, d’Espagne, les comtes de Flandres, les papes, les ordres militaires religieux, eurent plusieurs fois recours à leur bourse. Philippe le Bel, qui altéra si fort les monnaies de son temps, et qui eut toujours besoin d’argent pour soutenir ses démêlés avec le pape, les templiers, l’Angleterre, s’aida souvent du crédit des banquiers florentins. Il le reconnut à sa façon en les poursuivant à plusieurs reprises comme usuriers, en leur extorquant de fortes rançons, et finalement en leur faisant faillite pour les sommes qu’ils lui avaient prêtées. D’autres débiteurs royaux ne devaient pas se montrer plus délicats que le roi de France.

Les chefs des puissantes maisons florentines tenaient eux-mêmes leurs livres. On a retrouvé quelques-uns de ces précieux manuscrits, ceux des Alberti, qui existent encore dans les archives conservées par cette famille, ceux des Peruzzi, dont plusieurs sont à la bibliothèque Riccardiana, à Florence. Ces livres sont sur parchemin, en belle écriture cursive du temps, rappelant ce qu’on appelle en calligraphie la ronde. Ils sont écrits en langue vulgaire, en bon italien, et tenus en partie simple. Cela représente assez bien ce qu’on nomme aujourd’hui dans le commerce le livre-journal, celui sur lequel on écrit au fur et à mesure toutes les opérations, quelles qu’elles soient. Les banquiers d’alors appelaient ce registre le grand-livre, libro maestro ; mais ils avaient aussi leur livre secret, le livre des mauvais débiteurs, etc. La méthode de tenue des livres en partie double, de la découverte de laquelle on a fait honneur aux banquiers florentins, paraît avoir été imaginée pour la première fois à Venise au XIVe siècle, et introduite seulement à Florence au siècle suivant par les Médicis ; mais les Florentins ont certainement propagé, sinon inventé la lettre de change.

Les livres qui nous restent des Peruzzi vont des années 1292 à 1343, date où cette grande maison suspendit ses paiemens. Ils sont au premier moment assez difficiles à lire. Les lettres sont liées, avec des abréviations. On acquiert assez vite la pratique de cette lecture, qui n’est qu’un jeu pour ceux qui ont l’habitude des manuscrits. Les chiffres romains y sont exclusivement employés ; l’usage des chiffres arabes était alors sévèrement défendu par les statuts de l’art du change. Le banquier ouvre ses livres d’une façon solennelle, en se