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voiture. Deux siècles plus tard, les difficultés étaient à peu près les mêmes, comme on peut s’en assurer par les mémoires de Benvenuto Cellini dans la partie ou il raconte son voyage de Rome à Paris. Il n’y avait pas de postes ni de courriers. Les mutationes et les mansiones des Romains, qui avaient si bien organisé les routes sur toute l’étendue et jusqu’aux confins de leur immense empire, avaient peu à peu disparu depuis l’invasion des barbares et la formation des petits états. Comme les attaques des malandrins étaient fréquentes, on partait souvent en caravane, on se munissait de sauf-conduits auprès des seigneurs dont on traversait les terres. En mer, la sécurité n’était pas plus grande ; les galères étaient armées pour se garantir des pirates. De Florence à Gênes, on mettait par terre six jours, à Avignon quatorze, à Montpellier seize, à Paris vingt-deux, à Bruges vingt-cinq, à Londres trente. Le temps qu’il fallait pour aller de Londres à Florence, on l’emploie aujourd’hui pour aller de Londres à Calcutta, et les dépenses et les fatigues sont diminuées des trois quarts ; presque toute chance de danger a aussi disparu.

Bruges était un des grands entrepôts du commerce florentin. C’était là qu’on apportait tous les draps des Flandres. Les communications de cette ville avec Florence se faisaient par la voie de mer ou par la route de l’Europe centrale. On voit encore sur la place principale de Bruges les pittoresques maisons flamandes où résidaient les consuls étrangers ; partout on retrouve aussi les traces de la primitive splendeur de cette cité jadis si florissante. Bruges a bien décliné depuis ; Anvers, Amsterdam et les ports hanséatiques lui ont peu à peu ravi tout son commerce. Un concours de phénomènes politiques et économiques, le percement de l’isthme de Suez et du Saint-Gothard, vont redonner au transit de l’Europe centrale l’influence qu’il eut jadis ; mais il est à craindre que Bruges pas plus que Florence ne voient renaître l’étonnante fortune des temps passés.

Le moment est venu de dire comment s’écroula tout à coup la puissance industrielle de Florence. Vers l’année 1336, la république était arrivée au plus haut degré de prospérité qu’elle eût jusqu’alors atteint. Les guelfes dominaient sans partage. Le gonfalonier de justice, chef de la république, assisté du magistrat des prieurs de l’art, gouvernait sagement. La population de Florence était de 180,000 habitans, dont la moitié répandue dans la banlieue, ce qu’on nommait le territoire de l’état. Florence occupait Arezzo, Pistole, Colle ; elle avait 18 châteaux-forts dans le Lucquois, et 46 sur son propre territoire. On comptait dans la ville 80 maisons de banque, 20 boutiques de marchands de draps de Calimala et 20 boutiques de marchands de laine. La république pouvait lever