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Au dessein que j’ai fait de fuir tous les humains,
Et que dans mon désert, où j’ai fait vœu de vivre,
Vous soyez, sans tarder, résolue à me suivre.

CÉLIMÊNE.


Moi, renoncer au monde avant que de vieillir,
Et dans votre désert aller m’ensevelir !

ALCESTE.


Et s’il faut qu’à mes feux votre flamme réponde,
Que vous doit importer tout le reste du monde ?
Vos désirs avec moi ne sont-ils pas contens ?

CÉLIMÊNE.


La solitude effraie une âme de vingt ans.
Je ne sens point la mienne assez grande, assez forte,
Pour me résoudre à prendre un dessein de la sorte.
Si le don de ma main peut contenter vos vœux,
Je pourrai me résoudre à serrer de tels nœuds,
Et l’hymen…..

ALCESTE.


Non, mon cœur à présent vous déteste,
Et ce refus lui seul fait plus que tout le reste.
Puisque vous n’êtes point, en des liens si doux,
Pour trouver tout en moi comme moi tout en vous,
Allez, je vous refuse, et ce sensible outrage
De vos indignes fers à jamais me dégage.


Que les deux siècles et les quatre personnages se ressemblent peu ! Je n’ai garde d’en poursuivre la comparaison ; mais certainement, dans ce refus du mariage, au XVIIe siècle c’est à l’homme, à Alceste, au XIXe c’est à la femme, à Mme Récamier, que le rôle digne et vrai appartient.

A côté de tous ces incidens et de tous ces personnages de la vie mondaine se place, dans celle de Mme Récamier, la plus simple et la plus familière de ses relations, celle qu’elle contracta avec la nièce dont elle fit sa fille, et qui publie aujourd’hui ses lettres, Mme Lenormant. Je n’ai que quelques mots à en dire, mais ils seront le résumé le plus significatif du caractère de Mme Récamier et de sa propre pensée sur sa propre vie. Dès qu’elle eut adopté cette enfant à peine âgée de six ans, elle se prit pour elle d’une affection vraiment maternelle, et s’occupa d’elle, à commencer par son éducation, avec la sollicitude la plus attentive. « Je me sens pleine d’admiration et de reconnaissance, dit Mme Lenormant, en me rappelant avec quel soin, dans un salon rempli de monde, au milieu d’une conversation très animée, Mme Récamier entendait et surveillait tout ce qui m’était dit. Elle m’avait autorisée de très bonne heure à rester dans le salon le soir, en me recommandant de ne jamais permettre à un homme, jeune ou vieux, de me parler à voix basse, et pour cela de répondre de façon à être entendue de tous. Droite et