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lui apparaît comme un encouragement, comme un signe favorable pour la réalisation de ses desseins. Quoi donc ? les princes d’Orléans seraient allés à la messe du 21 janvier en mémoire de Louis XVI ! M. le comte de Paris aurait dit, au témoignage de M. de Larochefoucauld, qu’il n’y avait plus qu’une monarchie en France ! M. le duc de Nemours aurait parlé avec convenance du drapeau blanc ! La fusion est donc enfin accomplie ! Nous admirons toujours la facilité avec laquelle certains esprits se laissent aller aux fantaisies de leur imagination, et se complaisent à interpréter la moindre démarche, la moindre parole. Ils semblent oublier que les affaires humaines ne marchent pas si aisément. Si cette fusion dont on parle toujours et qui fuit sans cesse n’est pas aussi assurée qu’on le croit, c’est qu’il y a autre chose à faire qu’à rapprocher des princes et à fondre les couleurs de deux drapeaux. Il y a deux idées, deux politiques, deux traditions, on pourrait dire deux sociétés, qu’il faudrait concilier.

Cette fusion-là, est-on bien sûr qu’elle soit faite en France ? Les princes n’ont une signification publique que par ce qu’ils représentent, et, quand même ils se rapprocheraient personnellement, les causes dont ils sont la vivante expression ne resteraient pas moins distinctes. Le drapeau blanc a été le symbole de bien des gloires, le drapeau tricolore a été attristé par bien des défaites cruelles. Et après ! où veut-on en venir ? Peut-on demander sérieusement à une nation de se repentir de son existence de quatre-vingts ans, de faire amende honorable de ses vœux, de ses espérances, de ses idées les plus chères, voire de ses illusions, de la même façon qu’un prince va voir un autre prince ? Est-ce qu’on efface ainsi l’histoire ? Ce qu’il y a de vrai, c’est que de temps à autre on revient à cette idée et on parle de la fusion sans que rien ait changé réellement. Fût-on plus avancé qu’on ne l’est, il y aurait toujours une difficulté qui ne serait pas sans quelque importance. Il resterait encore à savoir comment on ferait pour établir cette monarchie, pour la substituer au régime actuel, qui, tout faible qu’il paraisse, n’est peut-être pas aussi facile à supprimer qu’on le pense. C’est donc sur une quasi-impossibilité morale et sur les plus grandes, les plus délicates difficultés matérielles, qu’on fonde toute une politique. C’est pour cela qu’on refuse au pays les moyens de s’établir avec quelque sûreté dans les conditions où les circonstances l’ont placé, qu’on prolonge les incertitudes, les périls d’un provisoire agité, et qu’on accepte enfin la responsabilité des crises qui peuvent éclater à l’improviste ! Ces crises, on se croit peut-être en mesure de les dominer, et c’est la plus périlleuse des chimères, car, si la France devait subir le malheur de passer par de nouvelles épreuves révolutionnaires, l’héritage risquerait fort de ne pas passer à la monarchie qu’on rêve, il serait à la première dictature improvisée par les événemens et capable de rendre le repos au pays.