Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/719

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce qu’il y a de grave dans ces idées, fort peu réalisables, auxquelles la droite sacrifie la sécurité du moment, c’est qu’elles n’ont pas seulement le caractère d’une réserve politique en faveur d’une forme de gouvernement, elles procèdent d’une préoccupation toute religieuse. Oui, ces royalistes intraitables sent encore plus cléricaux que légitimistes, et ils croient tout aussi facile de replacer le pape sur son trône temporel que de ramener le roi à Paris ou à Versailles. Toutes les fois que l’occasion s’en présente, ils ne négligent pas de laisser apparaître cette double pensée, et récemment encore il n’a pas tenu à eux de compromettre les relations de la France avec l’Italie. Ils ont échoué, il est vrai, dans l’interpellation qu’ils avaient préparée au sujet de la démission de M. de Bourgoing et de son remplacement par M. de Corcelle comme ambassadeur auprès du saint-siège ; mais il y a eu, dit-on, toute une campagne moins avouée, moins saisissable, pour arriver au même but par un autre chemin. Ce qu’on se proposait en effet, c’était d’obtenir le rappel de M. Fournier, violemment soupçonné de tenir un langage trop favorable à l’Italie, et d’avoir reçu avec politesse quelques Français peu orthodoxes de passage à Rome. Ce que M. Fournier a dit et ce qu’il n’a pas dit, on a tout exploité ; on a entouré le gouvernement d’obsessions. Le coup était habilement monté, et s’il eût réussi, c’était évidemment une victoire pour ceux qui voudraient que la France n’eût point de représentant auprès du roi Victor-Emmanuel à Rome, c’est-à-dire qu’il y eût une véritable rupture avec l’Italie. M. le président de la république, quelles que soient ses opinions anciennes sur les affaires de Rome, n’est point homme à se dissimuler le péril de telles aventures. Il n’a point eu de peine à reconnaître que, s’il cédait à ces importunités de l’esprit de secte, s’il rappelait M. Fournier, il s’exposait à ce qu’on pût mal interpréter ses intentions et même peut être avoir moins de confiance dans sa politique. Il était d’autant plus fondé à résister aux obsessions dont on l’excédait, qu’il n’a pas cessé depuis longtemps d’entretenir les relations les plus conciliantes avec le gouvernement italien, toujours animé des intentions les plus amicales à l’égard de la France.

M. Thiers a écarté fermement ce danger, et si on le pressait encore, il n’aurait qu’une chose bien simple à faire, ce serait de porter la question devant l’assemblée elle-même, devant le pays, et de demander aux fanatiques de la droite s’ils veulent accepter une rupture avec l’Italie, s’ils veulent braver les conséquences d’une telle politique. Ainsi donc voilà ce que la droite met dans son programme, la guerre civile peut-être pour faire triompher la monarchie, la guerre étrangère pour le rétablissement du pape. C’est en vérité trop des deux articles dans un seul programme, et la France, nous n’en doutons pas, trouvera dans l’assemblée une majorité suffisante pour lui donner pleine satisfaction dans ses besoins de paix avec tout le monde comme avec elle-même.

CH. DE MAZADE.