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à tout. Foi naïve, touchante folie ! on en souriait tristement, et l’on revenait aux choses sérieuses. Ceux qui ont assisté à des scènes de ce genre ne me contrediront pas si j’affirme que les inventions de Claude Rippert ont réveillé ces pénibles souvenirs de la façon la plus désagréable. La foi de Claude Rippert et de M. Dumas est absolument la même que celle des candides inventeurs dont nous venons de parler, mais elle n’a pas pour excuse l’affolement du siège. Voir de tels enfantillages reparaître quand nous avons tant besoin d’une existence virile, c’est matière à réflexions douloureuses. Nous ne sommes que trop portés à nous repaître de songes et de chimères ; les hommes qui prononcent le mot de régénération nous doivent une nourriture plus forte. Et qu’est-ce que cette société occulte qui entreprend de gré ou de force l’exploitation de la science française, l’acquisition ou l’extorsion de nos découvertes ? Est-il possible que le génie de la France soit menacé par une bande de Cantagnacs et que la police n’en sache rien, que l’Institut l’ignore, que tous les parquets ne soient pas avertis ? Encore un souvenir des excitations du siège. On croyait voir partout des espions et des traîtres. On imaginait des conspirations monstrueuses, des associations abominables, dont nous étions les jouets et les victimes. On croyait à je ne sais quelles ténébreuses légendes, comme si ce n’était pas assez de la réalité horrible. L’imagination de M. Alexandre Dumas est en retard de deux ans ; les principaux épisodes de son drame sont des anachronismes de sentimens et d’idées, faute vénielle, je l’accorde, si elle n’avait pas l’inconvénient de nous reporter bien tristement en arrière.

Les idées religieuses qui se font jour çà et là dans la pièce de M. Alexandre Dumas présentent aussi un caractère équivoque et ajoutent encore à l’incohérence de l’ouvrage. Nous croyons, certes, à l’immortalité de l’âme, nous croyons qu’il n’y a dans ce monde que des commencemens, que la nécessité d’une vie future est une vérité certaine pour la raison comme pour la foi ; nous n’aimons pas cependant qu’une jeune fille mette sa main sur l’épaule d’un homme mal marié et lui dise : Je vous aime, mon âme est la vraie compagne de votre âme, je m’unirai à vous dans un monde supérieur, je serai l’épouse de la seconde vie. L’emploi des sentimens religieux comme l’emploi des sentimens patriotiques exige de l’écrivain dramatique une délicatesse particulière. S’il fait sourire, il est perdu. Qu’il prenne garde principalement d’éveiller des doutes sur sa sincérité ! Qui veut trop prouver ne prouve rien. Une jeune fille peut représenter la grâce et la pureté sans dire à celui qu’elle aime : Je serai l’épouse de la seconde vie. Un jeune savant peut aimer ardemment sa patrie vaincue et mutilée sans mettre à son service des découvertes fabuleuses qui font songer aux alchimistes du moyen âge. La vérité, disait Boileau, n’a pas cet air impétueux ; elle