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incontestable, c’est que, transporté très jeune à Alger, il avait appris son métier de marin et de soldat à bord des navires de la régence.

Hassan-Gazi fut pendant près d’un quart de siècle l’âme de la marine ottomane, l’idole du peuple, le favori tout-puissant du souverain. Il fut sur le point d’opérer en Turquie une grande réforme. Il était d’usage, dès que la flotte était rentrée dans le Bosphore, de congédier les matelots jusqu’au 4 mai. Hassan voulait faire construire des casernes pour recevoir les équipages, qu’on ne rassemblait au printemps que pour les dissoudre à l’entrée de chaque hiver. Il eût ainsi constitué une marine permanente et devancé dans cette voie, au grand avantage de l’empire, la plupart des états européens ; mais ce projet suscita des ombrages devant lesquels le capitan-pacha jugea prudent de battre en retraite. L’influence de Hassan-Gazi ne s’en fit pas moins sentir à bord des vaisseaux turcs. On les vit en 1788, formés et contenus par cette main vigoureuse, accepter le combat en pleine mer contre la flotte de l’amiral Wainowitz et obliger cette flotte, bien inférieure en nombre, il est vrai, à rentrer dans le port de Sébastopol. Il eût fallu être un hardi capitaine pour oser désobéir à Hassan. Le vainqueur de Lemnos avait pris l’habitude de surveiller l’exécution de ses ordres le tromblon au côté. En 1778, le plus beau navire de la flotte sombra dans la Mer-Noire. Sa charpente était-elle trop légère, comme celle de beaucoup de vaisseaux turcs ? Ses liaisons manquaient-elles de solidité ? Hassan n’eut point cette inquiétude, il ne voulut s’en prendre qu’à la défectuosité du calfatage. À dater de ce jour, il exigea que tous les capitaines, sous peine de mort, assistassent à cette importante opération. Comme Henri II, roi de France par la grâce de Dieu, il était d’avis qu’on ne pouvait prendre trop de précautions pour que « la loyauté en cet endroit fût gardée pour le bien de da chose publique, » et il tua de sa propre main un capitaine qui avait osé s’absenter pendant que les calfats « besongnaient, » suivant l’expression de l’ordonnance du 20 juillet 1557, « au fond du navire, qui est le plus dangereux. » Encore si c’eût été « aux mortes-œuvres et tillacs d’en haut ! »

Quelque puéril que puisse nous paraître aujourd’hui le culte exagéré du vaillant favori d’Abdul-Hamid pour un art qui fut autrefois dans nos ports la première « des maîtrises, » il est certain, qu’en 1821 la marine turque n’existait qu’en vertu du souffle de vie dont Hassan l’avait un instant animée. Ses dernières traditions étaient celles de 1788 ; son plus inaltérable souvenir était celui du combat de Tchesmé. Elle avait été nourrie dans la crainte des brûlots, sans avoir malheureusement appris comment une escadre s’en peut défendre. Les Grecs avaient aussi, gardé la mémoire de ce désastre,