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consenti à s’engager que pour un mois, désertaient, ou se mutinaient, une fois ce délai expiré. On n’avait donc jamais le temps de poursuivre un succès ou de réparer un échec. Avant d’accuser les chefs d’inertie, il faudrait, quand on écrit l’histoire, tenir avant tout grand compte des conjonctures au milieu desquelles il leur a fallu se débattre. Les amiraux turcs eux-mêmes auraient sans aucun doute droit à quelque indulgence, quand on songe que la révolution grecque leur avait tout d’un coup ravi l’élite de leurs équipages et leurs pilotes, les laissant aux prises avec de constans soupçons de trahison. Le riala-bey avait été disgracié. C’était probablement justice ; mais le capitan-bey, Kara-Ali, qui lui succéda, ne paraît pas avoir eu une meilleure fortune. C’était cependant, assure-t-on, un homme de résolution et un marin expérimenté, — aussi expérimenté que pouvait l’être à cette époque un amiral turc. Il ramena en toute hâte l’escadre devant Samos. Les vigies de cette île signalèrent dès le 15 juillet l’approche de trente voiles. Ces bâtimens mouillèrent le lendemain devant la côte méridionale de l’île, vis-à-vis le village de Cora, et non loin de l’entrée du détroit de Mycale. Déjà, par les soins d’Elez-Aga, les agens des puissances étrangères résidant à Smyrne avaient été avisés du châtiment terrible qui menaçait l’île rebelle, et ils avaient dû en faire retirer leurs consuls.

L’appareil déployé par les forces ottomanes tendait jusqu’à un certain point à confirmer ces menaces. La flotte grecque leur laissait le champ libre, et il allait falloir repousser le débarquement corps à corps. Les Samiens intimidés prenaient déjà la route de leurs montagnes. Logothetis, montrant un front plus hardi à l’orage, retint près de lui quelques braves qu’il s’était appliqué à discipliner, et, avec cette élite, soutenu par une batterie de quelques pièces légères, il entreprit de défendre aux embarcations turques l’accès de la plage. Un succès presque inespéré justifia son audace. Les Turcs firent de vains efforts pour prendre terre, et l’amiral dut songer à faire venir de nouvelles troupes de la côte d’Asie. Neuf transports furent expédiés à Scala-Nova. Ces navires rencontrèrent en route la flotte grecque, qui revenait d’Hydra plus forte que jamais, car elle comptait alors soixante-cinq bâtimens. Les transports turcs évitèrent la capture en se jetant à la côte, mais ils n’évitèrent pas la destruction. Les Grecs y mirent le feu en face des milices hurlant sur le rivage et presque en vue de la flotte ottomane, composée de quatre vaisseaux, dont deux de quatre-vingts canons, de cinq frégates et de douze bricks ou corvettes.

Cette flotte était trop prudente pour attendre l’ennemi au mouillage. Les vents lui interdisaient l’abri des Dardanelles. Elle se laissa