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M. Fortoul en 1852. Cet essai paraissait rationnel cependant et de nature à satisfaire aux exigences des différentes carrières qui s’ouvrent devant les jeunes gens au sortir du collège. Vers le milieu de leurs études scolaires, il leur était permis de bifurquer, c’est-à-dire de choisir la voie des lettres ou celle des sciences, en prévision de la fonction sociale qu’ils voulaient exercer plus tard. Rien n’était plus simple ni plus légitime, et il faut se reporter aux passions latentes de l’époque pour comprendre l’opposition presque générale que souleva cette mesure. On n’y alla pas de main morte, on accusa M. Fortoul d’avoir porté un coup mortel à l’université.

Loin de là, il la sauva peut-être, car à ce moment précis et très troublé de notre histoire elle était condamnée à disparaître. Les trois principaux acteurs du drame où se joua l’existence d’une des plus respectables institutions de notre pays sont morts, et l’on peut raconter des faits qui alors furent ignorés. Après le coup d’état du 2 décembre 1851, le comte de Montalembert fut un des premiers à se rallier à la politique nouvelle, et il eut de fréquens entretiens avec le président. Il obtint de lui que l’université, qu’il lui représentait comme un foyer d’opposition permanente, comme la pépinière où se recrutaient les adversaires de tout pouvoir régulier, serait supprimée, que les collèges même deviendraient des institutions particulières, et l’on devine le parti que pouvaient en tirer ceux qui se croient exclusivement appelés à diriger l’enseignement en vertu de l’axiome : ad eum qui régit christianam rempublicam, scholarum regimen pertinet. Jamais l’université n’avait couru un danger pareil, et l’on pouvait -croire que c’en était fait de cette vieille mère dont nous sommes tous les enfans. Le décret de confiscation des biens de la famille d’Orléans éloigna M. de Montalembert de Louis-Napoléon ; avec une grande habileté, M. Fortoul profita de cet incident. Il déclara, il prouva que l’université seule était en mesure de donner l’enseignement scientifique, vers lequel se portaient tous les esprits ; il démontra que, si on la supprimait, toutes les écoles spéciales allaient être bientôt désertes, au grand détriment de la jeunesse. Il invoqua le souvenir du premier empire, qui avait recréé l’université ; il proposa, comme moyen terme, la bifurcation, qui fut acceptée, et parlé fait il sauvegarda un ordre de choses si gravement en péril qu’il fallait « changer ou mourir, » — le mot a été dit. Les adversaires immédiats de l’université ont deviné ce qui s’était passé ; ils se sont mis en mesure de profiter d’une occurrence pareille, si jamais elle se représentait, et avec un succès croissant, que nul ne peut nier, ils donnent l’enseignement spécial qui ouvre l’entrée de nos grandes écoles scientifiques.

M. Fortoul fit plus. La loi de 1850 avait singulièrement amoindri