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venir Fichte, et lorsqu’elle vit que le grand philosophe acceptait la direction de l’enseignement supérieur, elle se crut sauvée, et elle l’était.

La solution du problème se pose aujourd’hui devant la France avec une énergie redoutable. Tous ceux qui par fonction ont la main à la manœuvre sont pleins d’ardeur ; ils sentent très nettement que c’est affaire de vie ou de mort, et ils sont prêts. Partout j’ai constaté, à tous les degrés de l’échelle, un élan sérieux et réfléchi. Ces hommes savent parfaitement que notre pays va livrer sur ce terrain-là sa suprême bataille, celle dont on sort réellement régénéré ou vaincu pour toujours : ils ne doutent pas de la victoire ; mais leur donnera-t-on les moyens de la remporter et comprendra-t-on, comme disent les bonnes gens, qu’il faut se saigner aux quatre membres ? Ne retombons pas dans les fautes que nous avons commises, et que nous expions si rudement. Lorsqu’en 1867 on a discuté la loi militaire présentée par le maréchal Niel, il n’a pas manqué d’hommes très autorisés qui disaient : Prenez garde, vous désorganisez l’armée : telle qu’elle est, elle suffit à toutes les éventualités ; n’y touchez pas ! — On les a écoutés ; où en sont les petits-fils des vainqueurs d’Iéna et d’Auerstaedt ? Si en matière d’enseignement l’on veut conserver les vieilles méthodes, ne pas rajeunir les matières d’instruction et la discipline, ne pas faire aux professeurs une situation qui leur permette de résister sans peine aux sollicitations des éducations particulières ou de l’industrie, si nous ne rendons pas le ministère de l’instruction publique absolument indépendant de la politique, si l’incohérence et l’hésitation continuent à fatiguer les élèves tout en paralysant les maîtres, si la France ne consent pas un sacrifice considérable en faveur de ce qui constitue en somme les plus grandes gloires de l’esprit humain, si nous ne rompons pas avec les habitudes prises, si nous n’appelons pas l’intelligence de tous au goût des choses sérieuses, si nous continuons à nous contenter de savoir « un peu de tout, à la française, » comme a dit Montaigne, nous courrons risque de nous endormir de nouveau dans la satisfaction de nous-mêmes et de ne pas reconquérir le rang que nous avaient fait nos anciennes destinées.


MAXIME DU CAMP.