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-vaient à le parcourir. Hoff, sans prévenir, un soir se jette à l’eau tout habillé et traverse les deux bras à la nage. Arrivé près de l’endroit où les barques étaient amarrées, il essaie de les détacher ; les chaînes étaient en fer. Du moins ne pourra-t-on dire qu’il s’est dérangé pour rien. À quelques pas sur la berge était un trou, un factionnaire dans le trou. Il se glisse doucement hors de l’eau, les bras d’abord, le buste ensuite, car ses vêtemens qui ruissellent pourraient trahir sa présence, puis s’élance sur l’Allemand et le sabre. À peine aperçu, il plonge de nouveau pour rejoindre le bord. Par malheur, à mi-chemin entre les deux îles, un bas-fond tout à coup l’arrête. Son fusil, qu’il avait en bandoulière, s’accroche parmi les herbes, sa capote imprégnée d’eau gêne ses mouvemens. En même temps, de l’une et l’autre rive Prussiens et Français tiraient par-dessus lui : les balles venaient en sifflant fouetter l’eau autour de sa tête. Un moment, il se crut perdu ; mais cette pensée même lui a rendu des forces. Par un suprême effort, il réussit à se dégager et atteint la berge. Il était temps. On s’empresse autour de lui, on le débarrasse de ses armes, on fait sécher ses vêtemens. À la lame du sabre, une poignée de cheveux roux était encore attachée.

Sur ces entrefaites, Hoff est mandé chez le général Le Flô, alors ministre de la guerre. Il s’agissait de porter des dépêches au maréchal Bazaine, enfermé dans Metz. Pour forcer la ligne d’investissement, franchir cent lieues de pays, de pays occupé, traverser une seconde fois avant d’arriver toute une armée assiégeante, on n’avait pu mieux choisir que le brave sergent qui depuis deux mois déjà déjouait par ses ruses les précautions de l’ennemi. En peu de mots, le ministre lui exposa l’entreprise, non sans en reconnaître les difficultés, les périls. Hoff accepta, et comme on lui offrait en récompense le grade d’officier : — Non, répondit-il, je n’ai pas assez d’instruction. — Mais alors que voulez-vous ? — Ce que je veux ? Réussir ! Oh ! je réussirai, j’en suis sûr ; mais, vous ensuite, donnez-leur donc une bonne roulée ! — C’était tout à la fois demander bien peu et beaucoup.

Pour remplir plus facilement sa périlleuse mission, Hoff avait besoin de détails précis sur l’effectif ou la position des différens corps de l’armée allemande. Voici ce qu’on imagina. Débarrassée dès avant le siège de ses hôtes les plus ordinaires, la vaste prison de La Roquette avait été tout spécialement réservée à nos trop rares prisonniers de guerre. Ils n’étaient guère plus d’une centaine, des Bavarois, des Hanovriens, des Saxons, tous bien traités, bien nourris. Du dehors, on leur apportait des vivres et du vin, on leur avait même laissé leurs sacs. Quel frappant contraste avec ce qui s’est passé en Allemagne ! Ah ! si ceux-là au retour ont pu voir la misère et le dénuement de nos pauvres soldats prisonniers, franchement