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opte à produire l’effet voulu, que les élémens aient les propriétés que l’on y reconnaît ?

Les savans sont en général trop portés à confondre la doctrine de la cause finale avec l’hypothèse d’une force occulte agissant sans moyens physiques, comme un deus ex machina. Ces deux hypothèses, loin de se réduire l’une à l’autre, se contredisent formellement, car celui qui dit but dit en même temps moyen, et par conséquent cause apte à produire tel effet. Découvrir cette cause, ce n’est nullement détruire l’idée du but, c’est au contraire mettre au jour la condition sine qua non de la production du but. Pour éclaircir cette distinction, citons un bel exemple emprunté encore à M. Claude Bernard. Comment se fait-il, nous dit cet éminent physiologiste, que le suc gastrique, qui dissout tous les alimens, ne dissolve pas l’estomac lui-même, qui est précisément de la même nature que les alimens dont il se nourrit ? On a fait intervenir ici pendant longtemps la force vitale, c’est-à-dire une cause occulte qui suspendrait en quelque sorte les propriétés des agens naturels pour les empêcher de produire leurs effets nécessaires. La force vitale interdirait donc, par une sorte de veto moral, au suc gastrique de toucher à l’estomac. On voit que ce serait un véritable miracle ; mais il n’y a rien de semblable. Tout s’explique lorsque l’on sait que l’estomac est tapissé d’un enduit ou vernis inattaquable à l’action du suc gastrique, et qui protège contre lui les parois qu’il couvre. Qui ne voit qu’en réfutant l’omnipotence de la force vitale, bien loin d’avoir affaibli le principe de finalité, on lui a donné précisément un merveilleux concours ? Qu’aurait pu faire l’art le plus accompli pour protéger les parois stomacales, sinon inventer une précaution semblable à celle qui existe en réalité ? . Et quelle rencontre surprenante, qu’un organe destiné à sécréter et à employer un agent des plus dangereux pour lui-même se trouve précisément armé d’une tunique protectrice, qui a dû toujours coexister avec lui, puisque autrement il eût été détruit avant d’avoir eu le temps de se procurer cette défense, ce qui exclut l’hypothèse des longs tâtonnemens et des rencontres heureuses !

Les causes finales n’écartent donc pas, elles exigent au contraire les causes physiques ; réciproquement les causes physiques n’excluent pas, mais réclament les causes finales. C’est ce que Leibniz a exprimé en termes d’une remarquable précision. « Il est bon de concilier, dit-il, ceux qui espèrent d’expliquer mécaniquement la formation de la première tissure d’un animal et de toute la machine des parties avec ceux qui rendent raison de cette même structure par les causes finales. L’un et l’autre est bon, l’un et l’autre peut être utile, et les auteurs qui suivent ces routes différentes ne