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II

La doctrine de M. Claude Bernard, qui nous représente l’organisme comme une machine construite et dirigée par une idée créatrice, rencontre un adversaire décidé dans M. Charles Robin. L’un et l’autre de ces savans considèrent comme le rôle de la science de rattacher chaque phénomène à ses conditions antécédentes et déterminantes ; mais pour le premier ce déterminisme ne supprime nullement la pensée dans la nature, ou du moins dans la nature vivante, et il n’en est que le mode de manifestation ; pour le second au contraire, au-delà des conditions déterminantes, il n’y a rien à chercher, ni même à penser, et le principe des conditions d’existence exclut absolument le principe des causes finales ; toutes les inductions d’ailleurs que l’on tire de la comparaison de l’organisme à une machine sont erronées, puisque l’organisation n’est pas une machine, et que la substance organisée peut vivre et manifester toutes les propriétés de la vie sans structure et appropriation mécaniques.

Il importe peu à notre point de vue, — et même il ne lui importe en aucune façon, — que l’organisation soit essentiellement et par définition une combinaison mécanique. Il nous suffit de savoir que dans la plupart des cas, et à mesure qu’elle se perfectionne, la substance organisée se crée à elle-même, pour exercer ses fonctions, des agens mécaniques. Sans doute la substance organisée dont est composé l’œil, ou le cœur ou l’aile, n’est pas en elle-même une machine, mais elle est capable, par une virtualité qui est en elle, de se former des instrumens d’action où se manifeste la plus savante mécanique ; le problème reste donc tout entier, quelque idée que l’on se forme de l’organisation en elle-même et dans son premier état. Admettons, si l’on veut, que l’organisation soit en essence telle combinaison chimique, il reste toujours à savoir comment cette combinaison chimique réussit à passer de cet état amorphe, par lequel on dit qu’elle commence, à cette structure complète et si savamment appropriée que l’on remarque à tous les degrés de l’échelle des êtres vivans.

La structure des organes n’en révèle pas toujours les fonctions. Ainsi on a pu déterminer par des travaux rigoureux la forme géométrique des cellules nerveuses qui composent soit les nerfs sensitifs, soit les cerfs moteurs, sans trouver aucun rapport entre la figure de ces cellules et leurs fonctions ; quel rapport par exemple peut-il y avoir entre la forme triangulaire et la sensibilité, la forme quadrangulaire et l’influence motrice ? Ces rapports même ne sont