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pliqué ! Il s’adresse directement à un officier italien pour la vérification des armes. Or cet officier vérificateur d’armes, c’est tout simplement le vendeur lui-même qui a négocié l’opération sous un prête-nom, et qui fait payer plus de 30 francs à la ville de Lyon ce que le gouvernement français a déjà refusé au prix de 18 francs. Les armes arrivent enfin, elles ont subi des avaries, il faut les réparer : cette fois on choisit dans le conseil municipal un tulliste pour présider à la réparation ! Il y a dans cette histoire des marchés un personnage suédois qui traite avec la ville, avec le préfet, pour une fabrication de cartouches. On lui avance 200,000 francs, il fournit en deux mois ce qu’il aurait dû fournir en un seul jour ; on ne lui témoigne pas moins la plus grande confiance, au point de renouveler les marchés qui ne sont pas exécutés, et les traités sont si bien passés que la ville de Lyon vient d’être condamnée récemment par les tribunaux à payer près de 500,000 francs au fabricant de cartouches, qui n’a rien fourni, mais qui a pu prouver que c’était la faute du comité lyonnais.

Ainsi on procède, dépensant l’argent sous toutes les formes, encourageant et payant toute sorte d’inventions bizarres, les « camps roulans, » les « sacs-boucliers, » les a cuirasses, » etc. Les plus sincères ou les plus naïfs de cette administration avouent qu’ils manquaient d’expérience, qu’on vivait dans un temps où il fallait à tout prix des armes, des munitions, et où ceux qui venaient en réclamer parlaient de fusiller aussi facilement qu’ils auraient dit : « Comment vous portez-vous ? » C’était en effet un temps étrange. Il n’y a point eu de malversations, dit-on. Il se peut, la commission n’est point allée jusqu’à élever une semblable accusation. C’est simplement, si l’on veut, le règne de l’arbitraire dans le domaine financier, de l’incapacité dans l’administration d’une ville qui porte aujourd’hui la responsabilité de ce qu’elle n’a pas pu empêcher ; mais ce qu’il y a de grave et de peu rassurant, c’est que les intérêts de Lyon sont restés dans les mêmes mains et courent les mêmes dangers, si bien que cette discussion récente des marchés, en révélant un si triste passé, a fait renaître plus que jamais la question de l’organisation municipale de la grande cité du Rhône. L’assemblée s’en est émue, M. le ministre de l’intérieur n’a point caché ses préoccupations, il a nettement déclaré qu’on ne pouvait pas laisser se prolonger cette situation, que le moment était venu d’aviser. C’est le résultat le plus clair de ce procès des marchés de Lyon, où le radicalisme s’est montré dans le faste de son incapacité, et où le pays, lui aussi, a pu voir ce que deviendraient ses affaires le jour où, sous prétexte de consacrer le triomphe de ce qu’on a bien voulu appeler les « nouvelles couches sociales, » l’esprit de désorganisation révolutionnaire entrerait en maître dans l’administration des intérêts locaux.

On gagnerait beaucoup plus à s’occuper de toutes ces affaires sérieuses