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réduire au silence en acceptant ses services, parce qu’on ne croit pas pouvoir faire autrement ?

M. Thiers se résigne cependant, il se soumet à ce qu’on veut lui imposer ; mais à quelle condition ? Il l’a dit à la commission des trente : il accepte tout ou peu s’en faut, à la condition que ce qui a trait à sa situation personnelle soit complété par un programme que M. Dufaure a lu, qui contient l’obligation de s’occuper « à bref délai » de la création d’une seconde chambre, d’une loi électorale, de l’organisation du pouvoir exécutif dans l’interrègne entre la dissolution de l’assemblée actuelle et la réunion de deux chambres nouvelles. Ici le gouvernement à son tour n’a-t-il pas donné un prétexte à toutes les interprétations ? Cette expression « à bref délai, » qui a été mal comprise, qui a sonné aux oreilles de certains membres de la commission « comme le glas funèbre de l’assemblée actuelle, » cette expression n’est-elle pas au moins inutile ? De toute façon, que l’expression soit dans la loi ou qu’elle n’y soit pas, il faudra toujours un certain temps pour élaborer toute cette organisation dont on parle, et ce n’est pas la peine de se placer sous le coup de ce « bref délai ; » mais ce qu’il y a de plus grave, c’est cette prévision d’un interrègne pendant lequel le pouvoir exécutif resterait seul chargé de la direction des affaires du pays. Il y a ici évidemment une méprise de langage. Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir d’interrègne. L’assemblée actuelle n’a point à se dissoudre avant la réunion de l’assemblée qui lui succédera, ou des deux chambres qui partageront après elle le pouvoir législatif. C’est ce qui arrivait en 1849 lorsque l’assemblée constituante faisait place à l’assemblée législative sous un régime déjà constitué. Qu’on ait la pensée de lier à un certain ensemble d’institutions organiques la prolongation des pouvoirs de M. Thiers, c’est une autre question ; mais alors mieux vaut aller droit au but et formuler nettement une proposition qui s’explique d’elle-même par les éminens services de M. le président de la république. La commission des trente a bien facilement saisi ce prétexte pour écarter au moins une partie du programme lu par M. le garde des sceaux. Le gouvernement, de son côté, maintiendra-t-il ce programme dans son intégrité ? En d’autres termes, arrivera-t-on d’accord devant l’assemblée, ou bien commission et gouvernement porteront-ils de nouveau leur différend devant la chambre comme au 29 novembre ? Voilà la question. Il restera toujours vrai que tout ce travail plein d’arrière-pensées, de réticences et de sous-entendus, semble bien peu en rapport avec la situation réelle du pays, qu’au lieu de se perdre dans toutes les subtilités de l’esprit de parti depuis deux mois, le mieux eût été de voir simplement les choses, d’accepter ce qu’on ne peut éviter, d’opposer l’accord permanent, nécessaire, de l’assemblée et du gouvernement à toutes les difficultés extérieures ou intérieures dont la France est réduite à triompher chaque jour laborieusement.