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aux acteurs les plus habiles, charmer les yeux par la beauté des décors et le luxe des costumes, on ne fera qu’accuser davantage la froideur de l’œuvre.

Quand eut lieu cette reprise, de 1839, le public venait de voir reparaître nos chefs-d’œuvre du XVIIe siècle, et, grâce à une tragédienne inspirée. Il avait senti l’immortelle jeunesse des maîtres. On n’avait pas éprouvé chose pareille depuis Talma. C’était le moment où Alfred de Musset, signalant les débuts de Mlle Garcia aux Italiens et de Mlle Rachel aux Français, les saluait de ses vers charmans :

O jeunes cœurs, remplis d’antique poésie !

Nous n’avons pas vu, comme en ce temps-là, de jeunes cœurs révéler l’antique poésie aux générations nouvelles, mais nous avons vu Andromaque, le Cid, Britannicus, représentés avec les plus louables efforts, et ce même public, si froid hier pour Marion Delorme, en recevait une impression profonde. Que les formes eussent vieilli, que le cadre ne fût plus de mode, il s’agissait bien de cela ! l’énergie du fond défie tous les caprices du goût. Les vieilles querelles sont donc à jamais finies ; il n’est pas question de comparer un système à un autre système, d’opposer Racine à Shakspeare ou Shakspeare à Racine. La grande règle de toutes les règles, dit excellemment Molière, c’est de plaire, d’intéresser, d’attacher, et au théâtre on attache surtout par l’action, par le naturel et la rapidité de l’action. Voilà précisément ce que M. Victor Hugo perd de vue au milieu de ses effusions lyriques. Il confond le mouvement tumultueux de la scène avec cette action intérieure et intense dont le poème dramatique ne peut se passer. A l’aide de quatre ou cinq personnages, le poète d’Andromaque ne laisse pas l’action languir un seul instant ; malgré le nombre des figures qui passent et repassent sur le théâtre, l’action est sans cesse interrompue dans Marion Delorme.

La Comédie-Française n’avait rien négligé pour assurer le succès de cette reprise, et le poète n’aura aucun reproche à lui faire ; la mise en scène est splendide, les décors sont des tableaux de maître. Quant aux acteurs, elle a donné certainement ce qu’elle avait de mieux. S’ils n’ont pas tous réussi, ce n’est pas le zèle qui leur a manqué. Peut-être après tout y a-t-il des difficultés insurmontables dans une œuvre comme Marion Delorme. Quand Mlle Favart, si accoutumée à produire des émotions poignantes, s’efforce de vaincre la froideur du public, quand elle veut absolument l’intéresser au sort de Marion, elle a recours çà et là aux plus fâcheux procédés, à des éclats de voix, à des contrastes subits, à je ne sais quel débit inintelligible tant il est précipité. Est-ce toujours la faute de l’actrice ? Ces efforts désespérés ne sont-ils pas la critique de la pièce ? M. Mounet-Sully a complètement échoué dans le rôle de Didier. Sa voix est toujours harmonieuse et vibrante, mais on dirait qu’il a renoncé à