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Philippe tenait pour vrai tout ce qu’Elsie lui disait, il admettait même que ce fût juste; mais il voulait qu’elle lui répétât en toute sincérité que ce n’était là qu’une épreuve à laquelle on le soumettait, et alors, sur l’honneur, ce délai qu’on lui imposait, il le subirait, cette carrière qu’il fallait qu’il eût pour obtenir sa femme, il l’aurait !

Hélas ! Elsie se taisait, et si parfois, se souvenant du passé, il tentait de lai prendre la main, elle la retirait avec terreur. Il y avait donc pour Philippe à ce déni de parole, à ce renversement de ses espérances, plus que des raisons qu’on pût avouer, il y avait une cause qu’on ne révélait pas, un secret qu’on s’efforçait de cacher. Toutefois il le saurait, dût-il contraindre sa mère et sa sœur, ou M. de Reynie à parler. Alors Elsie, tremblante, lui avouait, entre ses réticences et ses larmes, qu’il y avait en effet un secret, mais que ce secret ne regardait ni Mme ni Mlle d’Hesy, qu’il concernait seul M. de Reynie, qui saurait le défendre et le garder. C’était en vain; Philippe en arrivait à croire qu’elle se jouait de lui, et l’accablait de ses doutes et de son ironie. Est-ce qu’un pareil secret, que sa mère et sa sœur ignoraient, que M. de Reynie ne dirait pas, ne serait point, par hasard, le secret même de la jeune fille ? Ne serait-ce donc point qu’elle avait cessé d’aimer Philippe, et que le premier subterfuge venu lui servait à couvrir sa trahison ?

À cette accusation, à cet outrage, Elsie n’y tint plus. — Laissez-moi ! lui dit-elle; vous me torturez, c’est plus que je n’en puis supporter. J’allais fuir. Oubliez-moi. Ne nous revoyons jamais ! — Puis avec l’accent d’une prière qui lui échappa : — Aie pitié de moi, Philippe !

— Ah ! Elsie, dit le jeune homme, tu m’aimes encore. Je le sens à ta voix, à tes sanglots, à tout ton être qui tressaille. Eh bien ! je ne veux plus te faire de mal. Je renoncerai à toi, si vraiment la fatalité le veut; mais cette fatalité, c’est bien le moins que je la connaisse. J’en serai juge comme toi. Entre deux cœurs qui s’aiment, il n’y a pas de secret. Puisque tu sais celui-là, dis-le-moi.

— Je ne le peux pas.

— Dis-le-moi, je t’en supplie ! Il n’y a peut-être là qu’un malheur que nous conjurerons ensemble.

— Il y a plus qu’un malheur.

— Quand cela serait, ce m’est égal. Quoi que ton père ait fait, que m’importe ? c’est toi que j’aime.

— Quand je vous dis que je ne puis pas !

— Et moi, je l’exige.

— C’est impossible. — Elle le regarda bien en face avec une supplication désespérée. — Mais, voyons, est-ce qu’il n’y a pas