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PHILIPPE.


pour les hommes des secrets qu’ils ne sauraient livrer sans manquer à l’honneur, pour lesquels il est inutile d’insister ? Est-ce qu’une fille ferait moins pour son père qu’un homme pour un autre homme ? Ce secret est un de ceux-là. — Avec une résolution subite et sans appel, elle ajouta : — C’en est assez, monsieur, je me tairai.

— C’est bien, Elsie, dit froidement Philippe, je vous laisse ; mais si je vous perds, je me tuerai.

— Ah ! c’est lâche cela, s’écria-t-elle, tandis qu’il sortait. Il ne vous manquait plus que de me menacer de votre mort ! Elle était à bout de forces, s’assit accablée, et murmura seulement : — Pardonnez-moi, mon Dieu, je n’ai pas pu lui laisser croire que je ne l’aimais plus.

Comme elle prononçait ces derniers mots, M. de Reynie, qui était entré doucement, lui prit la main. — Tu vois bien que tu l’aimes encore, lui dit-il.

Elsie se leva, et tout d’un coup se jeta en pleurant dans ses bras.

— Ah ! mon père, ah ! père, je souffre trop, mon cœur se gonfle, ma tête s’égare ; j’en deviendrais folle, il se tuerait. Il faut que je vous dise tout. Au point où nous en sommes, il n’y a que vous peut-être, vous qui nous avez perdues, qui nous puissiez sauver.

— Je vous ai perdues ! fit M. de Reynie. De qui parles-tu, malheureuse enfant, de Mme d’Hesy sans doute ? — il baissa la voix :

— de Clotilde ?

— Oui, oui, dit-elle à la hâte. Savez-vous pourquoi je ne puis pas épouser Philippe ?

— Dis.

— Parce qu’il n’est pas le frère de Mlle d’Hesy.

— Alors, dit-il haletant, il est son. . .

Elsie laissa tomber ce mot : — Oui.

— Ah ! fit M. de Reynie avec une singulière expression de joie, ah ! je l’aimais déjà.

Cette joie, ces paroles étonnèrent si profondément Elsie qu’elle essaya de se dégager de l’étreinte de son père. Elle se demandait si elle avait bien entendu, si ce n’était pas lui à son tour qui perdait la raison. Mais il la retint dans ses bras, et poursuivit : — Et toi, mon Elsie, mon enfant chérie, c’est ton chagrin seul qui t’a trahie, car tu voulais ne me rien dire, être généreuse jusqu’à la fin. Tu voulais fuir. Ah ! tu es un noble cœur. — Il fit une légère pause ; puis remué d’un sentiment secret et puissant : — Et tu seras ma fille plus que jamais !

— Je serai votre fille ? répéta-t-elle.

Il la baisa au front et lui tendit la main avec une émotion con-