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leur patrie, par exemple les montagnes de la Sabine vues de la villa Albani, ou plus exactement de la campagne où s’élève l’illustre petit mont sacré ; malheureusement la lumière est ici dure, sèche et froide, et ces montagnes farouches ne s’en laissent pas amoureusement pénétrer comme les collines romaines qui, visitées par les dieux, ont reçu de leur passage le privilège de la transparence, et dont la masse se présente comme une ouate vaporeuse imbibée de soleil.

Autun est une grandeur déchue ; mais il y a bien des manières de déchoir, et, s’il s’agit d’expliquer en quoi consiste la nuance de cette déchéance, la tâche devient assez difficile. A ces mots de ville déchue, l’imagination évoque aussitôt un spectacle de ruine, de solitude ou de silence, la mélancolie grandiose des antiques quartiers de Rome, la léthargie des vieilles villes italiennes, le profond mutisme des rues de Malines et de Bruges. L’aspect d’Autun ne présente rien d’analogue, et le visiteur, pour peu qu’il se soit promis les plaisirs d’une rêverie élégiaque, aura le droit de se déclarer désappointé et mystifié. Volontiers on désirerait cette ville un peu plus déguenillée et meurtrie ; mais non, tout dans son extérieur est décent, convenable, propret, et en très suffisant accord avec le caractère des villes tout à fait modernes. Hélas ! c’est précisément dans cette modestie décente que se révèle la déchéance d’Autun. Il est arrivé à cette ville quelque chose de pire que de porter des guenilles de pierre, c’est qu’elle s’est arrangée de sa déchéance, et que de reine elle est descendue au rang de simple bourgeoise sans paraître trop en souffrir. Il y a si longtemps, si longtemps qu’elle est déchue, qu’une végétation de vie a eu le temps de pousser sur ses ruines, seulement cette végétation a été celle d’une nature qui a épuisé ses plus grandes forces. Le vrai malheur d’Autun, c’est peut-être de n’avoir jamais pu mourir complètement des coups qui lui étaient portés, car elle s’est trouvée soustraite ainsi à ce miracle de résurrection dont tant de villes illustres ont été favorisées. Lorsqu’elle fut définitivement frappée, ce fut par les mains des Sarrasins, quelque temps avant la défaite que leur infligea Charles Martel ; vous voyez qu’il y a beaux jours de cela. Cependant la vie persista dans cette ville tenue pour morte, et, quand vinrent les Normands, elle eut encore assez de force pour supporter leur assaut. Elle se releva et continua d’exercer les prérogatives politiques dont l’investissaient son illustration et son ancienneté ; mais elle ne retrouva plus la santé des jours d’autrefois. Trois siècles plus tard, le premier duc héréditaire de race capétienne, fils de notre roi Robert, la trouva debout encore et marchant malgré ses blessures ; il n’osa pas se fier à cette valétudinaire qui avait perdu tant de sang, et, retirant la prééminence