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faux bien répandu dans tout ce qui n’est pas lui, paganisme, hérésie, gloire du monde. Nous savons que le mal existe, nous disent ces chapiteaux, et cependant il n’est encore rien paru sur la terre qui ait eu l’audace d’en prendre le nom. Invariablement toutes les erreurs, tous les mensonges, toutes les passions ont eu et auront recours à l’hypocrisie, se sont présentées et se présenteront sous les noms du bien et de la vérité ; mais de même qu’on juge l’arbre à ses fruits, on reconnaît le véritable bien du faux bien à la qualité de ses vertus. C’est donc cette qualité qu’il faut chercher, si l’on ne veut pas confondre le Christ avec Satan, et cette qualité, les vieux artistes qui décorèrent Saint-Lazare se sont ingéniés à la montrer avec une subtilité souvent admirable en opposant, tantôt par les exemples de l’histoire, tantôt par les enseignemens de l’allégorie, la vraie gloire à la fausse gloire, la vraie charité à la fausse charité, l’humilité sincère à l’humilité hypocrite. Je ne pousserai pas plus loin mon interprétation, non certes parce qu’elle épuise le sens de ces sculptures, mais parce que, arrêtée à ce point, elle reste claire, ne peut s’éloigner de la vérité, évite la conjecture et rend un compte fidèle sinon du tout, au moins d’une partie de l’œuvre. J’ai vu clair jusqu’où je l’ai dit et pas plus loin, et je m’arrête là où les ténèbres commencent pour moi.

Saint-Lazare possède quelques beaux vitraux ; comme ils ne m’ont rien dit, distrait que j’étais par les sculptures des chapiteaux, je n’en parlerai pas. Une des chapelles contient aussi des restes de peintures à fresque de la fin du XVe siècle qui laissent encore apercevoir sous leur effacement quelques vestiges de beauté, une main qui fait désirer inutilement de voir le visage ou la moitié d’un profil qui fait supposer une noble figure ; cependant elles me donnent à regarder plus de peine que de plaisir, et je m’en détourne avec empressement pour aller revoir encore une fois le Saint Symphorien que Ingres composa pour cette église même, sur la demande de l’évêque d’Autun sous la restauration, Mgr de Vichy. L’œuvre est fort belle ; toutefois il faut avouer que l’artiste y a mis le temps. Commandé en 1824, ce tableau ne fut livré qu’en 1832 ; total, huit années. Je ne sais vraiment ce qu’il faut admirer le plus, de la patience de l’artiste prolongée pendant huit années, ou de la patience des autorités qui ont été assez intelligemment indulgentes pour attendre si longtemps sans récriminations ni reproches l’exécution d’une promesse. Elles en ont été récompensées, car cette toile est un chef-d’œuvre, en dépit des critiques qu’on peut lui adresser. Eh ! sans doute elle a ses défauts : la couleur, tantôt morne, tantôt violente, n’est pas précisément agréable à l’œil ; la composition embrasse tant de personnages qu’il en résulte quelque confusion ; il n’y a peut-être pas assez d’air et d’espace dans cette