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Jeannin n’hésita pas à se prononcer pour la ligue. Il fut donc ligueur, mais sans rien d’espagnol, ni fanatisme d’aucune sorte, et tout en se réservant de retourner au roi légitime le jour où il se rendrait au vœu national, et où sa réconciliation rétablirait l’intégrité de notre constitution traditionnelle, car, s’il ne voulait pas sacrifier l’église au roi, il ne tenait pas davantage à sacrifier le roi à l’église. La réconciliation s’accomplit enfin, et Jeannin, retrouvant avec la conversion de Henri IV l’équilibre de ses opinions, n’eut qu’à suivre sa pente naturelle pour revenir à la monarchie. Il la servit pendant deux règnes avec talent, dignité modeste et exacte probité.

De toutes les négociations dans lesquelles Jeannin fut engagé, il n’y en a pas de plus délicate et où il se soit mieux montré à son avantage que celle qu’il dut poursuivre durant deux années et demie pour amener la paix entre la Hollande et l’Espagne sur une base favorable aux intérêts de la France. En l’année 1607, Henri IV apprend tout à coup que les provinces-unies, lasses de la longue guerre qu’elles soutiennent contre l’Espagne, sont prêtes à signer la paix à la seule condition que leur indépendance sera reconnue. Grand émoi d’Henri IV, qui, voyant déjà l’Espagne libre de ses mouvemens, redoute que cette liberté ne se retourne contre lui et ne détruise l’œuvre de son règne. Il était donc dans l’intérêt du roi que les provinces-unies continuassent la guerre, ou du moins qu’elles ne fissent la paix qu’à des conditions dictées par lui. La question se présentait fort complexe et fort embrouillée. Il était difficile en effet de persuader aux provinces-unies qu’elles devaient continuer la guerre pour servir les intérêts de Henri IV, et si, par impossible, on les amenait à cette résolution, il était évident qu’une telle docilité de leur part impliquerait pour le roi l’obligation de les soutenir. Or c’était ce que le roi ne voulait pas ; il était trop fin politique pour aller se jeter dans un péril infaillible, afin de se préserver d’un péril problématique. Dans une telle situation, Jeannin était le négociateur désigné d’avance à la sagesse et à l’expérience du roi. Ce n’était pas un négociateur absolu, impérieux et tranchant qu’il fallait ici, c’était un négociateur patient, prudent, incapable d’incartades, passé maître en fait de subtilités juridiques, de distinctions, d’arguties diplomatiques, et que l’ennui de voir chaque jour casser sous ses doigts les fils de cet écheveau embrouillé ne rebutât ni ne mit jamais hors de lui-même. Supposez par exemple Villeroy à la place de Jeannin, et il n’est pas douteux qu’avec le caractère hautain, la netteté de décision et l’arrogance de ton que nous révèlent ses dépêches, les négociations n’eussent été bien vite compromises et rompues. En outre ce n’était pas un grand seigneur qu’il fallait envoyer auprès de ces opulens bourgeois des provinces-unies, dont Barneveldt était alors, à la sourde colère du prince Maurice, l’âme