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Dans ses études sur Darwin et ses prédécesseurs français[1], M. de Quatrefages a exposé brièvement les travaux de Lamarck et rendu pleine justice à la grandeur et à l’originalité de la plupart de ses idées ; il lui assigne la première place parmi les ancêtres scientifiques de Darwin, mais signale en même temps et combat les points faibles de ses conclusions. Notre but dans les pages qui vont suivre est au contraire de faire ressortir les points forts et de montrer, en les corroborant par un grand nombre de faits, quelles sont les vérités que Lamarck a le premier formulées au milieu de l’inattention et malgré la critique peu compréhensive dont elles ont été l’objet pendant tout le cours de sa longue existence.


II. — LA PHILOSOPHIE ZOOLOGIQUE DE LAMARCK. — INFLUENCE DES MILIEUX.

C’est à l’analyse de la Philosophie zoologique, publiée par Lamarck en 1809, que sera surtout consacrée cette étude. Lamarck connaissait un nombre immense de végétaux et d’animaux, condition nécessaire pour pouvoir s’élever à des généralisations comprenant l’ensemble du monde organisé. Dans ses travaux spéciaux, description, classement, détermination d’espèces végétales et animales, il avait été frappé de leurs différences, mais, encore plus de leurs analogies ; il avait constaté leurs variations, et il en était résulté pour lui une triple impression : la certitude de la variabilité de l’espèce sous l’influence des agens extérieurs, celle de l’unité fondamentale du règne animal, enfin la probabilité de la génération successive des différentes classes d’animaux, sortant, pour ainsi dire, les unes des autres comme un arbre dont les branches, les feuilles, les fleurs et les fruits sont le résultat des évolutions successives d’un seul organe, la graine ou le bourgeon. Cependant, je le répète, au lieu de multiplier les exemples, comme on le fait aujourd’hui, il s’efforce de convaincre le lecteur par des raisonnemens ; il les enchaîne les uns aux autres sans s’apercevoir qu’il a souvent quitté le terrain solide des faits, et que le moindre écart, la moindre lacune dans ses déductions l’engage nécessairement dans un labyrinthe comparable à celui où les métaphysiciens égarent ceux qui ont le courage de les suivre. Je m’attacherai donc à montrer comment les faits acquis à la science depuis la mort de Lamarck ont confirmé sa théorie fondamentale, désignée maintenant sous le nom de théorie de la descendance. Cette théorie consiste à supposer que les milieux dans lesquels les animaux ont vécu se sont souvent et profondément modifiés. Beaucoup d’animaux, ne pouvant pas s’accommoder à ces changemens, ont péri ; les autres, modifiés comme le milieu, se

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1868.