Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont adaptés à lui et ont transmis ces modifications à leurs descendans, chez lesquels elles se sont fixées, Ceux-ci constituent alors ce qu’on nomme des espèces : elles nous paraissent invariables parce que nous ne les connaissons que depuis un laps de temps tellement court, qu’il n’est qu’une fraction imperceptible de la longue période nécessaire pour amener des changemens dans le milieu ambiant, terre, eau, climat, température, et par suite dans les êtres exposés à ces influences diverses. En effet, l’argument tiré de l’identité des espèces étudiées depuis les temps historiques est sans valeur. Cuvier avait conclu à la fixité de l’espèce, parce que les momies des chats, des ibis, des crocodiles de l’Égypte sont identiques aux espèces actuelles vivant encore dans le pays. Or ce que Cuvier disait de l’espèce est également vrai des variétés ou des races obtenues dans les temps les plus reculés ; ainsi le bélier représenté sur les monumens égyptiens est identique au bélier nubien actuel[1]. Le petit cheval des paysans lithuaniens ne diffère pas du daino illustré dans les chants primitifs de ces peuples, et dont les squelettes se retrouvent dans les anciens tombeaux. Pourquoi auraient-ils changé, puisque le milieu ambiant est resté le même et que les peuples qui ont succédé à ces nations primitives n’ont rien fait pour améliorer ces races par des croisemens ou la sélection artificielle ? A plus forte raison ne voyons-nous pas les espèces ou les races sauvages se modifier sous nos yeux à moins que l’homme n’intervienne par la culture et l’hybridation pour les végétaux, par le régime alimentaire et le croisement pour les animaux. Examinons successivement l’influence des divers changemens du milieu ambiant qui modifient l’organisation des végétaux et des animaux, à savoir l’eau, l’air, la lumière et la chaleur.

L’action de l’eau sur les végétaux est des plus évidentes. Lamarck cite la renoncule aquatique. Cette plante est en effet singulièrement modifiée par son séjour dans l’eau. Les feuilles submergées sont finement découpées et comme capillaires ; celles qui s’élèvent au-dessus de la surface liquide sont arrondies et simplement lobées. Suivant que les feuilles ont séjourné plus ou moins longtemps dans l’eau, suivant que celle-ci est courante ou stagnante, elles présentent toutes les transitions imaginables entre ces deux extrêmes, et les botanistes en ont fait des espèces et des variétés sans nombre (ranunculus aquotilis, tripartilus, Baudoti, trichophyllos, fluitans, etc.). Les feuilles submergées de la châtaigne d’eau (trapa natans) sont également capillaires, les feuilles aériennes ne le sont pas. Dans ces renoncules et le trapa natans, l’action de l’eau amène la disparition partielle du parenchyme de

  1. Settegast, die Thierzucht, p. 60 et pl. I.