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quelque temps. La loutre est donc une marte amphibie, comme le desman est une musareigne également amphibie dont les doigts sont palmés et dont le terrier s’ouvre sous l’eau.

Dans les carnivores dits amphibies, tels que les phoques et les morses, nous trouverons l’exemple de grands animaux dont l’existence est encore plus aquatique : aussi les modifications de l’organisme sont-elles plus profondes que dans la loutre. Ces carnassiers amphibies forment la transition des mammifères terrestres aux cétacés, mammifères marins complètement incapables de se mouvoir sur un terrain solide. Lamarck[1] avait été très frappé par la vue d’un phoque vivant. Les pieds de derrière jouent pour la natation le même rôle que la nageoire caudale des cétacés et des poissons. À terre, le phoque progresse par bonds de la totalité du corps, s’appuyant seulement sur l’avant-bras, sans faire usage de ses membres comme instrumens de progression. Les extrémités postérieures sont appliquées sur les parties latérales du corps. Or l’organisation d’un phoque est celle d’un chien. La dentition est analogue, la langue lisse chez l’un et chez l’autre, le canal intestinal caractérisé par un cœcum court ; ils se nourrissent tous deux de chair, sans être exclusivement carnivores. Les doigts sont terminés par des ongles ; la douceur, l’intelligence, la sociabilité et les sentimens d’affection pour l’homme sont aussi développés chez le phoque que chez le chien[2]. Voilà pour les analogies ; mais, soit que l’on considère le chien comme une forme terrestre dérivée du phoque, ou le phoque comme une forme amphibie du chien, toujours est-il que les modifications dues au milieu aqueux sont les suivantes. Le corps du phoque est plus allongé que celui du chien, cylindroïde, beaucoup plus largo en avant qu’en arrière ; le poil est court et ras, les doigts, très longs, sont réunis par des membranes, les os du bras et de la cuisse, de l’avant-bras et de la jambe sont courts et forts, les membres postérieurs dirigés d’avant en arrière parallélement à la queue. Les narines peuvent se fermer quand l’animal plonge, et la parotide, devenue moins nécessaire, est atrophiée ; l’animal mangeant toujours dans l’eau, la sécrétion salivaire devenait superflue. Le chien de Terre-Neuve, essentiellement nageur et employé dans certains pays au sauvetage des individus en danger de se noyer, a les doigts unis à la base, et transmet à ses petits par hérédité cette conformation, indice chez tous les animaux de l’action prolongée de l’eau sur leurs extrémités digitales.

Dans les mammifères, le phoque n’est pas la dernière expression de la puissance d’un milieu liquide pour transformer un

  1. Additions, t. II, p. 413.
  2. Voyez à ce sujet Blasius, Saügethiere Deutschlands, p. 250.