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lutte des partis qui les divisent. Comment s’étonner, lorsqu’on est convaincu de la puissance de ces habitudes, que des hommes bien nés, bien doués, intelligens, honnêtes et sincères, ne puissent s’en dégager pour accepter un ordre de choses nouveau imposé par la nécessité et justifié par la raison ? Ainsi en France, depuis une longue série de générations, les habitudes et les idées monarchiques se sont incrustées pour ainsi dire dans le cerveau d’un grand nombre d’hommes au point d’être devenues une seconde nature, un instinct profond et irrésistible, que je ne craindrai pas de désigner sous le nom d’atavisme monarchique. L’étude critique, froide et impartiale des faits politiques et sociaux peut seule contre-balancer et modifier les obsessions de l’atavisme. Le chef actuel de l’état est un exemple à jamais mémorable de cette victoire du bon sens, de l’observation et de l’expérience sur un instinct acquis et héréditaire.

Dans les animaux invertébrés, Lamarck, comme on l’a vu, n’admet pas de mouvemens volontaires, il ne conçoit que des mouvemens provoqués par des impressions extérieures que les nerfs transmettent au sensorium général. L’organe central où elles viendraient toutes aboutir n’existe pas chez eux. L’organisation de ces animaux est comparable à celle d’un pays doté d’un réseau télégraphique, mais dépourvu d’une station centrale : les nouvelles circulent ; il en résulte pour la nation une connaissance générale des événemens qui se passent à l’étranger, mais, les fils ne convergeant pas tous vers un centre commun, ces impressions générales ne se manifestent que par des mouvemens réflexes non coordonnés entre eux, et nullement par des actes déterminés, résultat d’une volonté unique, résumant et traduisant les volontés collectives de la nation, en un mot par des actes émanés d’un gouvernement. Cet organe central qui recueille toutes les sensations et d’où partent les ordres de la volonté, c’est le cerveau, qui n’existe que chez les animaux vertébrés. La volonté est le résultat d’une détermination ; cette détermination elle-même suppose un jugement, le jugement une comparaison des sensations reçues, c’est-à-dire une série d’idées, en d’autres termes l’intelligence. L’intelligence et la volonté, suivant Lamarck, sont donc intimement liées entre elles, et, comme Locke et Condillac, Lamarck professe[1] qu’il n’y a rien dans l’entendement qui n’ait été auparavant dans la sensation. Pour lui, les actes que l’on a voulu attribuer à des idées innées : l’enfant qui va chercher le sein de sa mère, le canard qui, en sortant de l’œuf, entre dans l’eau, tandis que le poulet s’en éloigne, sont des habitudes héréditaires transmises par voie de génération, et non par des actes de volonté résultant d’idées innées. Lamarck

  1. Tome II, p. 320.