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que c’est avec plaisir que j’exécute cet ordre venu de haut ? » De guerre lasse, on prit un casque où l’on mit des billets, et on le fit passer aux prisonniers en leur disant de tirer au sort. Que se passa-t-il entre ces malheureux enfermés dans l’église pendant soixante-seize heures ? Toujours est-il que trois victimes furent désignées, non par le sort, mais à la majorité des voix, et un peu sans doute par un abus d’influence de quelques-uns des prisonniers. Les trois sacrifiés, malgré leurs supplications et leurs protestations, furent conduits auprès du cimetière, où ils furent fusillés, en présence du curé, qui les accompagnait au supplice, et du colonel prussien, qui était auprès du curé, le soutenant au moment de la détonation.

Ce qui se passait à Vaux était à peu près justement ce qui arrivait à Bazincourt après le combat de l’Epte. On avait réussi à préserver le village de l’incendie, mais huit habitans furent saisis comme bandits. On parvint encore, à force de démarches, à sauver trois des prisonniers, qui reçurent la bastonnade. Les cinq autres furent impitoyablement fusillés. Il y avait parmi eux un vieillard septuagénaire qui n’avait fait que se défendre dans sa maison. Peu après, les Prussiens, définitivement établis à Gisors, rayonnaient tout autour, allant à Vernon, aux Andelys, à Hebécourt, à Écouis, et déployant partout sur leur passage les mêmes procédés de violence. Ainsi se manifestait cette invasion de la Normandie, conduite par un prince de taille effilée, de santé assez frêle, qui suivait en ce moment-là une cure de lait en ordonnant des exécutions, des bombardemens et des réquisitions !

Les Prussiens, dans ce premier mouvement sur la Normandie, ne dépassaient point en réalité une certaine ligne entre Gournay, par où ils se rapprochaient du chemin de fer d’Amiens à Rouen, et la Seine, par où ils rejoignaient les autres détachemens allemands, qui sur la rive gauche atteignaient déjà les contrées de l’Eure. Ils complétaient ainsi de ce côté le cercle d’avant-postes destiné à protéger l’armée de siège campée autour de Paris, en étendant le rayon de ravitaillement. C’était là ce que se proposaient provisoirement les chefs de l’état-major de Versailles. Ce n’est pas cependant que cette occupation dont Gisors restait le centre fût toujours paisible. Pendant près de deux mois au contraire, sur toute cette ligne de Gournay à la Seine, on se battait incessamment et quelquefois vivement ; on se battait à Formerie, à Écouis, au Thil, à Vernon, où les mobiles de l’Ardèche, vaillans et alertes montagnards, tenaient vigoureusement tête aux Prussiens, puis plus loin, au-delà de la Seine, dans l’Eure. Ce n’était point assurément une guerre de savante stratégie, c’était plutôt une série d’escarmouches que le gouvernement et les préfets exagéraient souvent de la