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ANTHROPOLOGIE DES VASES GRECS.

capacité lui permet de faire une grande consommation, il a la gorge dilatée.

En passant en revue les parties dont se compose le tronc du corps humain, nous trouvons que la vaisselle a des épaules, une poitrine, des côtes, des flancs, un dos, un ventre, un ombilic, des hanches. Dans la supposition que je n’aie rien oublié, il manquerait le sein, et, chose plus excusable, le cœur. Quels profonds penseurs que ces ouvriers grecs ! Ils fabriquent des coupes et des amphores de la même terre dont Prométhée formait les premiers hommes, mais ils les rendent insensibles à la douleur, et, plus heureux que nous, le vase n’a pas conscience de ses peines. On aura beau le mutiler, l’user par mille froissemens, lui infliger de cruelles brûlures, il supportera tout sans émotion ; bien au contraire, quand la bouilloire est exposée au feu, et que ses tortures et ses anxiétés nous semblent intolérables, elle se met gaîment à chanter, car le son strident que produit l’eau chaude s’appelle le chant de la bouilloire. Il existe un petit nombre de vases très anciens en forme de bustes de femmes qui laissent échapper le liquide par les mamelles. Ces biberons primitifs suppléent au silence des auteurs. Ils proviennent tous des nécropoles de l’île de Chypre.

Après avoir examiné les deux épaules d’une amphore citée dans le Banquet des sophistes, nous parvenons à la poitrine et au dos des vases, parties que les habitans de Mégare comparaient aux deux plaques d’une cuirasse. Les côtes et les flancs se trouvent fréquemment mentionnés dans les textes classiques. Sophocle parle d’une urne aux flancs d’airain. Dans nos musées, on voit une multitude de vases d’argile ou de verre ornés de côtes en saillie.

Le ventre ou, comme on dit aujourd’hui, la panse, constitue l’élément principal du récipient ; pour remplir sa mission, il lui faut avant tout la capacité voulue. Ce n’est donc pas une épithète blessante que celle de ventrues ou de pansues que les auteurs anciens donnent à certaines poteries. Une bouteille grecque se souvient, non sans fierté, « d’avoir porté des délices bachiques dans son ventre. » Par rapport à l’intérieur d’un vase, on aimait mieux dire : l’abdomen ou les entrailles. C’est aussi dans ce sens que l’on parle des entrailles d’un carquois. L’ombilic n’est apparent que sur les patères, surtout les patères à sacrifice, et il y occupe naturellement le centre ; souvent il a la forme d’un gland de chêne. Quant à la hanche (kotyle), elle a donné son nom à toute une classe de vases à boire.

Ici vient se placer une série d’expressions dont je n’ai pas rencontré les équivalens dans les textes de l’antiquité ; ce sont les mots français cul-de-lampe, cul-de-pot, cul-de-bouteille. On ne nous demandera pas d’entrer dans une discussion philologique à propos de ces termes proscrits par Voltaire ; ils ont beaucoup perdu de leur trivialité originelle,