Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rantie pour la France contre les périls de demain aussi bien que contre les crises parlementaires d’aujourd’hui.

La république existe donc en Espagne, elle a déjà une durée de quinze jours, et, quoiqu’elle puisse compter parmi les phénomènes assez extraordinaires d’un temps où l’imprévu éclate sous toutes les formes, elle a eu du moins le mérite de naître simplement, sans convulsion, d’une sorte de nécessité soudaine des choses. Seule elle s’est trouvée là pour recueillir l’héritage de la royauté éphémère de ce jeune prince de Savoie, qui, après deux ans de patience et de bonne volonté inutile, en a eu assez de cette couronne qu’on lui avait donnée, et à laquelle on mettait vraiment trop d’épines. Entre le souverain démissionnaire et les cortès représentant l’Espagne, le divorce s’est fait du reste avec une gravité courtoise, sans froissemens vulgaires et sans récriminations. Le roi Amédée s’est tiré d’affaire avec honneur, il est parti pour Lisbonne sans paraître regretter le sceptre de roseau qu’on lui avait mis dans la main et qu’il a rendu aux trois cents députés ou sénateurs réunis pour cette solennité singulière. C’est alors que les difficultés ont commencé et devaient commencer à Madrid pour cette république improvisée, que n’attendaient peut-être pas si tôt ceux qui semblaient la désirer le plus.

Les premiers jours se sont encore bien passés sans doute. Un certain sentiment du danger mêlé d’une certaine surprise a contenu d’abord tous les partis, toutes les impatiences, toutes les espérances, dans cette éclipse d’une royauté. On s’est empressé de faire un gouvernement délégué des cortès, composé des partisans les plus connus de la république et de quelques-uns des ministres du roi Amédée qui jouaient là un rôle assez étrange. M. Figueras, un des chefs du parti démocratique, s’est trouvé être le président élu de ce gouvernement, et, il faut leur rendre cette justice, les républicains qui se sont vus si subitement jetés au pouvoir ont montré de la tenue, de la modération. Ils ont compris aussitôt que tout allait être perdu dès la première heure, s’ils ne s’efforçaient pas de rassurer tous les intérêts conservateurs en Espagne, de dissiper les inquiétudes, les défiances qui pouvaient se produire au dehors. Le nouveau ministre de l’intérieur, M. Pi y Margall, homme sérieux et honnête, s’est hâté d’adresser aux gouverneurs des provinces des circulaires où il recommande le maintien de l’ordre comme une nécessité suprême. Le ministre des affaires étrangères, M. Emilio Castelar, homme d’éloquence et d’esprit aimable, a fait ce qu’il a pu pour accréditer le régime dont il est un des parrains, en le montrant dans son origine toute légale, dans son caractère tout pacifique. On a déclaré devant les cortès qu’on respecterait toutes les obligations de crédit, tous les engagemens de l’état. En un mot, la république était sans doute tout ce qu’on pouvait faire dans la situation de l’Espagne, et ceux qui la représentent n’ont rien négligé pour lui donner une bonne figure à son dé-