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Deux ans après la mort de Henri IV, il ne restait plus rien des 45 millions que ce grand prince avait mis à l’épargne. Concini, pour sa part, en avait volé cinq ; de Luynes et les courtisans à défaut des maîtresses avaient dévoré le reste. L’argent manquait pour la solde des troupes ; la reine-mère ruinée par de folles prodigalités en était réduite à diminuer le nombre des plats servis sur sa table, et ce fut seulement vers 1624, au moment de l’entrée de Richelieu aux affaires, que notre établissement maritime fut mis sur un pied respectable ; mais chaque changement de règne, souvent même chaque changement de ministère amenait de brusques réactions. L’œuvre de Richelieu fut interrompue par Mazarin, qui eût grand’peine au moment de la fronde à mettre en mer cinq ou six petits navires pour fermer aux Espagnols l’entrée de la Gironde, et de 1646 à 1660, la marine française n’exista guère que de nom. L’arrivée de Colbert au contrôle des finances la tirade son abaissement, et ce grand ministre eut la gloire de l’élever à un degré de puissance qu’elle n’a jamais atteint après lui. La première difficulté était de trouver de l’argent pour créer le matériel ; il sut la résoudre. En 1662, il dépensa 2,201,481 livres pour la flotte à voiles et 552,917 livres pour les galères. En 1669, il dépensa pour les deux services plus de 9 millions ; il établit des fonderies, des corderies, des arsenaux, organisa les équipages de ligne, promulgua la célèbre ordonnance dite de la marine et fit en un mot pour l’armée navale ce que Louvois faisait pour l’armée de terre. A la fin de son ministère, la France n’avait pas moins de 650 navires, vaisseaux à deux et trois ponts, frégates, flûtes, galiotes, bombardes, flibots, brûlots, espies, galères, pataches, garde-côtes, chaloupes armées en guerre, et, comme c’était le privilège du XVIIe siècle de produire des hommes éminens dans tous les genres, la France eut à côté de grands généraux d’habiles et d’illustres marins, Château-Regnault, Cassard, Forbin, d’Estrées, de Preuilly, de Valbelle, d’Infreville, le chevalier de Certaines, Pointis, Jean Bart, Duguay-Trouin, Tourville, Duquesne, sans compter dans les grades inférieurs un grand nombre d’excellens officiers, qui unissaient à une bravoure à toute épreuve une grande pratique de la mer, et des connaissances tactiques beaucoup plus étendues qu’on ne le suppose aujourd’hui.

M. Jal, l’auteur de l’Archéologie navale, du Virgilius nauticus, de la Flotte de César, ne pouvait faire un meilleur choix que la biographie de Duquesne pour présenter au public le type accompli de l’homme de mer sous Louis XIV, et faire connaître en même temps l’organisation de nos flottes. Né à Dieppe en 1610, mort à Paris en 1688, Duquesne débuta dans la carrière qui devait lui faire une si juste renommée à l’heure même où Richelieu allait régner sous le nom de Louis XIII. De 1627 à 1686, il prit part à toutes les grandes expéditions, et l’histoire de sa vie résume la plus brillante période de nos annales maritimes. A peine âgé de seize ans, il monte une patache armée par son père, qui