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demander s’il n’y aurait pas encore place pour lui dans son enceinte ! C’était à frémir de peur. Il était donc urgent de creuser un nouveau fossé, que dis-je ? un nouvel abîme, et de prouver aux plus concilians qu’il ne fallait pas un instant compter sur lui. De là cette profession de foi nouvelle, qui, rendons-lui cette justice, le rapproche singulièrement de M. C. Vogt, que pourtant il n’aime guère, et l’éloigne d’autant des protestans libéraux.

M. Strauss s’est posé quatre questions. En premier lieu, sommes-nous encore chrétiens ? Il faut savoir que ce nous représente les hommes que les querelles entre protestans orthodoxes et protestans libéraux, entre vieux et nouveaux catholiques, laissent très froids parce qu’ils ne veulent plus entendre parler d’association religieuse, de culte public ni de Dieu. Non, répond-il carrément, nous ne sommes plus chrétiens, parce que nous avons rompu sans retour possible avec tout ce qui fait le contenu positif de la religion chrétienne. — Seconde question : avons-nous encore de la religion ? Cela dépend. Non, si l’on entend par là une foi quelconque en un Dieu personnel ou conscient ; oui, si l’on consent à reconnaître que la religion des temps modernes se confond avec le sentiment du rapport que nous soutenons individuellement avec l’Univers. L’univers, qu’on veuille bien se le rappeler, est désormais le dieu de M. Strauss. — En troisième instance, comment comprenons-nous le monde ? Non plus, comme autrefois, sous la forme d’un ensemble de choses se succédant dans le temps, originaires d’une volupté créatrice et menées à bonne fin par cette même volonté, mais comme l’organisme éternel, dont le fond permanent est une substance toujours identique, se manifestant par des évolutions locales et temporaires qui se répètent, se ressemblent, se compensent, se suppléent, de telle sorte par exemple que, si la vie disparaît sur un point, elle reparaît sur un autre, que, si la conscience est anéantie dans un système planétaire, elle s’éveille dans d’autres régions : il n’y a en réalité que de la matière et des lois qui la régissent. Le monde, à proprement parler, n’a pas de but. A chaque moment de son existence, il est ce qu’il doit être, et chacune de ses parties, après avoir produit ce qu’elle pouvait, rentre dans la mort pour foire place à d’autres qui naissent. — Comment donc réglons-nous notre vie ? Telle est la quatrième question que provoquent naturellement de semblables prémisses. Eh bien ! de la manière la plus simple. Abjurant toute participation à des formes surannées, l’homme moderne se nourrit intellectuellement et moralement de science, de politique, de beaux-arts, surtout de littérature et de musique, et il ne tiendra qu’à lui de puiser dans cette manière de concevoir les hommes et les choses autant de consolations et de