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enseignement. Puisqu’il s’agit de religion, il est clair que ce principe sera l’expression d’un certain rapport entre l’homme et la Divinité, et, puisque cette religion est fille non pas du raisonnement abstrait, mais d’une inspiration, d’une intuition du cœur (nous parlons toujours au point de vue strictement historique), il faut s’attendre à ce que ce rapport sera plutôt senti que défini ; seulement la réflexion saura bien formuler pour l’intelligence le principe latent sous les manifestations du sentiment. Or, s’il est quelque chose de personnel, d’inaliénable, de permanent dans l’enseignement de Jésus, c’est le sentiment filial qu’il a de Dieu, et dont il s’attend à rencontrer l’écho dans les consciences humaines. C’est de là que découlent toutes les notions qu’il se fait de la vraie piété et de la moralité pure, et, si nous voulons traduire ce sentiment dans notre langue philosophique moderne, nous dirons que le principe essentiellement et authentiquement chrétien, c’est la parenté ou l’affinité essentielle de l’esprit humain et de l’esprit divin. Il est visible que cette formule intellectuelle coïncide exactement avec le sentiment du rapport filial de l’homme avec Dieu. Voilà ce que livre en dernière analyse l’histoire évangélique scrutée jusque dans ses profondeurs, et il n’est pas permis à l’historien sérieux de rétrécir arbitrairement la portée de ce principe aussi vaste que fécond. Par conséquent la première question que se pose M. Strauss revient tout entière à celle-ci : reconnaissons-nous encore que la nature humaine et la Divinité sont dans ce rapport d’affinité que suppose le sentiment chrétien du Dieu-père ? La réponse pourra différer selon la philosophie religieuse que l’on préfère, mais on n’aura pas le moindre droit de contester le caractère chrétien des associations ou des personnes qui se rattachent plus ou moins directement à ce principe chrétien.

Au lieu de procéder ainsi, comme la logique, la loyauté, sa conscience de théologien consommé lui en faisaient un devoir, qu’a fait M. Strauss ? Il a emprunté leur méthode à ces orthodoxies étroites qui veulent toujours ramener le christianisme à un credo dogmatique bien déterminé, c’est-à-dire au leur, et qui, au nom de cette mesure arbitraire, excluent de la chrétienté tous ceux qui ne sont pas de leur avis. Il a pris le symbole dit des apôtres, sachant très bien qu’il ne remonte pas si haut, il y a inséré quelques dogmes traditionnels dont ce symbole ne parle pas ; puis il a sonné la fanfare triomphale en montrant que chacun de ces dogmes, que chacun des articles du symbole a succombé sous les coups de la science ou de la raison modernes. Eh bien ! il existe par milliers en Europe et en Amérique des chrétiens qui lui donneront à chaque instant. raison en détail, et qui pourtant persisteront à se dire chrétiens,