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modification du mouvement, — absolument comme l’onde sonore suscitée dans l’air par le mouvement d’un corps vibrant n’est sonore qu’à la condition qu’il y ait des oreilles pour la percevoir. Donc le fait de conscience est déjà renfermé dans le fait physique auquel M. Strauss en-appelle pour indiquer un mode possible d’explication de la conscience. Ce qui est presque aussi difficile à expliquer, c’est qu’un raisonneur tel que lui ait pu commettre une pareille pétition de principe.

Cependant, qu’on veuille bien y faire attention, M. Strauss a pu se méprendre dans cette occasion et dans quelques autres que nous omettons, cela n’annihile pas le point de vue général auquel il se place pour décrire le monde à la lumière de la science moderne. Des erreurs de détail en pareille matière peuvent être corrigées sans altération grave de l’ensemble, et en réunissant souvent avec une admirable clarté, toujours avec un grand bonheur d’expression, les rayons épars des sciences de la nature, M. Strauss a mis en plein jour un principe avec lequel la philosophie et la théologie sérieuse doivent désormais compter. Je veux parler du principe de la continuité des choses, principe qu’on ne peut encore vérifier partout, mais qui s’impose toujours plus partout à mesure qu’on avance dans l’étude de l’histoire et du monde. Les amis du surnaturel doivent enfin se le dire, et cela dans l’intérêt des meilleures causes qu’ils puissent défendre : de ce que l’esprit humain se voit incapable jusqu’à présent de préciser sur tous les points la connexion des phénomènes, de ce que certains grands faits qui ont une fois commencé sur la terre, tels que la vie ou la conscience, se dérobent complètement à nos essais d’explication d’origine, il n’y a pas la moindre raison d’en appeler au miracle, qui d’ailleurs est tout le contraire d’une explication. Il y avait autrefois tant de choses que l’ignorance antique attribuait directement au doigt divin, et qui sont l’effet très régulier des lois naturelles, tant d’événemens qui à distance ressemblaient à des ruptures miraculeuses de la logique de l’histoire, et qui se sont ou bien évaporés au souffle de la critique, ou bien rattachés tout naturellement à leurs antécédens mieux connus, que l’esprit humain a fini par conclure que là où il ne parvenait pas à saisir la connexion des faits, c’est qu’il s’y prenait mal ou qu’il en était peut-être incapable, mais que cette connexion existait de fait. L’axiome que tout tient à tout, la conviction que les choses se succèdent en vertu de causes, tantôt cachées, tantôt visibles, mais toujours naturelles, est devenu le fond même de la philosophie et de toutes les sciences sans exception. M. Strauss n’a donc pas eu tort d’opposer cette grande et lumineuse résultante des sciences de la nature aux vieilles théories philosophiques et