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Mais enfin, diront nos lecteurs impatiens, quelle est sa conclusion quant au gouvernement qu’il faudrait à l’Allemagne ? — De conclusion, il n’y en a pas, à moins qu’on ne donne ce nom à l’amphigouri de la page 272 : « Une monarchie entourée d’institutions républicaines, c’est une phrase française dont j’espère bien que nous sommes débarrassés. Arborer la bannière du parlementarisme, ce serait adopter un idéal étranger. Pensons plutôt que du caractère du peuple allemand et de la situation de l’empire allemand, avec la coopération du gouvernement et de la nation, il surgira des institutions de nature à concilier la force de cohésion avec la liberté du mouvement, le progrès spirituel et moral avec le bien-être matériel. » Je ne sais pas si une pareille solution paraîtra satisfaisante aux Allemands, ou plutôt j’en doute, car elle ne résout rien. C’est une phrase qui n’a pas même le mérite d’avoir l’air de dire quelque chose, et il n’est pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que, si la monarchie désirée par M. Strauss n’est pas absolue, elle sera nécessairement entourée d’institutions représentatives, donc plus ou moins républicaines, et que, si son pouvoir est limité par la représentation nationale, cette monarchie sera forcément parlementaire. Ce sont là des vérités élémentaires qui n’ont pas de patrie, qui sont aussi évidentes à Berlin qu’à Londres ou à Paris.

Il n’en reste pas moins que nous sommes en face d’un de ces étranges phénomènes dont l’Allemagne a le monopole, celui d’un philosophe, d’un critique, poussant l’audace de la négation jusqu’au cœur même des principes religieux et spiritualistes, en même temps du moyen âge en politique et rendant des points à nos réactionnaires les plus timorés. M. de Bismarck et l’empereur Guillaume vont être bien contens du docteur Strauss ; sa politique lui vaudra un bon point et diminuera la mauvaise humeur que le radicalisme irréligieux des premières parties inspirerait peut-être à ces puissans personnages, fort pieux comme l’on sait. Comment se fâcher contre un homme qui formule, il est vrai, un vœu timide en faveur du mariage civil, mais qui n’élève d’autre grief contre le chancelier de l’empire que d’avoir introduit le suffrage universel, et contre le grand-duc de Bade que de faire grâce de la vie aux assassins condamnés à mort ? En vérité, tant de soumission désarme. On ne peut en vouloir fortement à un écrivain qui rétablit le droit divin sur des bases assez nouvelles, je l’avoue, car c’est un droit divin sans Dieu, mais enfin un droit fondé sur l’incompréhensible, le mystérieux, l’absurde apparent ; dans la pratique, on ne verra pas la moindre dllférence. Le nouveau césarisme allemand a tous les bonheurs, il lui vient des séides enthousiastes de tous les côtés, des régions même où l’on s’attendait le moins à en trouver.