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LA MORT D’ALI PACHA.

dans cette cruelle guerre nos agens ni nos officiers insensibles, et, ce qu’il faut citer aussi à l’honneur de notre gouvernement, jamais la générosité qu’ils montrèrent ne leur fut reprochée, bien que cette générosité eût rarement l’occasion de s’exercer envers les amis politiques de la maison de Bourbon.

La fin de l’année 1821 fut marquée pour les Grecs par d’importans succès, et cependant un observateur clairvoyant aurait pu reconnaître que déjà le moment des premières épreuves approchait. La capitulation de Navarin avait suivi de près celle de Monembasia. Elle eut lieu le 19 août 1821. Si les Turcs voulaient sauver le peu de places maritimes qui restaient encore entre leurs mains, il fallait qu’ils se décidassent à faire sortir leur flotte. La saison était favorable. Les vents à cette époque sont généralement frais dans l’Archipel sans avoir la violence qui les fait redouter en automne. Les bricks grecs étaient rentrés le 24 août à Hydra. Dans la nuit du 6 septembre, le brick l’Olivier, commandé par le capitaine Bégon de la Rouzière, rencontra devant La Canée la flotte du capitan-bey. Composée de trois vaisseaux de ligne, de cinq frégates et d’environ trente corvettes ou bricks, cette flotte fut bientôt ralliée par les divisions égyptienne et algérienne. On comprend l’émotion qu’une semblable nouvelle dut causer dans les îles. Le chevalier de Viella, qui commandait, sons les ordres de l’amiral Halgan, la frégate la Fleur de Lis, fut témoin du découragement qui parut atteindre alors quelques-uns des chefs de l’insurrection d’Hydra. C’était moins la force des escadres ottomanes que la mutinerie de leurs propres équipages qui les faisait désespérer d’une cause « que, dans la première ferveur de leur enthousiasme, ils avaient appelée immortelle et sainte. » On peut se résigner à bien des sacrifices. quand il s’agit d’affranchir sa patrie ; ce qu’il y a de plus difficile, c’est de triompher du dégoût qu’inspire à tout cœur bien né l’aspect irritant du désordre. Les îles albanaises n’avaient pas encore épuisé leurs ressources. Hydra se vantait de posséder 10,000 matelots et 80 navires. Il existait 60 bâtimens à Spezzia, 30 à Ipsara, mais les armemens étaient paralysés, les campagnes souvent interrompues au moment même où il eût fallu redoubler d’activité. Pendant qu’un des plus opulens primats d’Hydra dénonçait à l’amiral Halgan cette situation navrante et le sollicitait d’accorder à sa famille un asile, un sauf-conduit à ses capitaux, Kara-Ali jetait des provisions et des munitions dans les forteresses de Coron et de Modon. Il préservait ainsi ces deux places d’une reddition devenue imminente, et se gardait bien d’entrer dans aucun des golfes d’où ses navires peu alertes auraient eu quelque peine à sortir. Cette prudence de l’amiral ottoman déconcertait les Grecs. Sûrs d’incen-