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dier avec leurs brûlots la flotte du sultan, si elle s’offrait à leurs coups au fond de ces entonnoirs, ils ne savaient plus comment l’attaquer depuis que les vaisseaux turcs s’obstinaient à rester sous voiles. « Les Grecs, écrivait l’amiral Halgan, attribuent cette habile manœuvre aux conseils d’officiers anglais embarqués sur l’escadre turque, et ils en ont conçu une très forte irritation contre l’Angleterre. » Le 18 septembre, le capitan-bey mouillait enfin, mais c’était sous le canon de Patras qu’il jetait l’ancre. Le 1er octobre, il envoyait dans le golfe de Corinthe le commandant de l’escadre égyptienne, Ismaël-Gibraltar, et le chargeait d’y détruire l’établissement que quelques pêcheurs grecs avaient fondé à Galaxidi, sur la côte occidentale de la baie de Salone.

Les Algériens furent mis à terre dès le point du jour. Forban, de profession, ils étaient plus que d’autres habitués à ce genre de coups de main. En quelques heures, ils avaient brûlé la ville, massacré les habitans et emmené à Kara-Ali trente-six bricks ou goélettes. Fier de pareils trophées, Kara-Ali ne songeait plus qu’à rentrer à Constantinople ; le 14 octobre, au moment où il sortait du golfe de Patras, Miaulis apparaissait à la tête de soixante voiles. L’amiral ottoman, dont les forces se composaient alors de quarante-deux navires de guerre, jugea néanmoins prudent de se réfugier dans les eaux de Zante. Pour quitter cet abri, il crut devoir attendre un vent favorable et frais qui le conduisît rapidement dans l’Archipel. Le 21 octobre, la flotte turque fut aperçue de Zea ; elle faisait route sous toutes voiles pour les Dardanelles. Quelques jours après, Kara-Ali entrait dans le Bosphore traînant triomphalement après lui les trente-six prises d’Ismaël-Gibraltar, et montrant aux Turcs enthousiasmés 30 prisonniers pendus aux vergues du vaisseau-amiral. Constantinople était dans l’ivresse ; Kara-Ali lui rendait un nouvel Hassan. Le sultan ne décerna pas encore au capitan-bey le surnom de victorieux ; il le récompensa du succès de cette campagne par le grade de capitan-pacha.

La sortie de la flotte turque avait sauvé Modon, Coron et Patras ; elle ne pouvait sauver ni Tripolitza, ni Corinthe. La ville de Tripolitza, bloquée depuis six mois, fut prise d’assaut le 5 octobre 1821 : 13,000 Turcs se trouvaient dans la place ; 1,500 Albanais, réclamés par Ali-Pacha, en sortirent la vie sauve. On estime à 8,000 âmes au moins le nombre des musulmans qui périrent dans le sac de Tripolitza ; ni le sexe, ni l’âge ne trouvèrent grâce devant les vainqueurs. Échappé par miracle au massacre général, un malheureux enfant fut recueilli dans ce désordre affreux par un capitaine philhellène. Amené en France par son sauveur, Mme la princesse Adélaïde se chargea de le faire élever ; il est devenu un des