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LA MORT D’ALI PACHA.

Le premier soin d’Ali, quand les troupes d’Ismaël s’étaient approchées des murs de Janina, avait été de faire évacuer cette ville par les habitans, de la livrer en pillage à ses arnautes, de l’accabler d’une grêle de projectiles pour la détruire et pour l’incendier. Il s’était ensuite retiré dans son château du lac, où il avait accumulé des vivres pour plus de quatre ans.

Tant qu’il n’eut à lutter que contre Ismaël, Ali put opérer plus d’une sortie heureuse. Les bestiaux des environs affluaient dans ses forteresses. Les choses changèrent de face lorsqu’au mois de mars 1821 Kurchid vint prendre le commandement de l’armée ottomane. Les deux vieillards étaient également opiniâtres, également intrépides et surtout également rusés ; mais Kurchid avait de son côté toute la puissance religieuse du sultan. Au mois d’octobre 1821, le séraskier, déjà maître de la première citadelle, s’empara des forts de la presqu’île. Les canonnières qui assuraient au pacha la possession du lac durent se retirer devant le feu des batteries établies sur la péninsule, les bombes incendièrent les magasins établis dans l’île du lac. Les 450 femmes qui composaient le harem d’Ali furent obligées de chercher un abri sous des blindages où le scorbut et la fièvre exerçaient des ravages affreux. La fermeté stoïque du pacha ne se démentit pas ; son embonpoint disparut. « Ses yeux ne brillaient plus que d’un feu sombre ; » ses mains, dont l’élégance aristocratique le rendait si fier, étaient devenues les doigts décharnés d’un squelette. Le sommeil l’avait fui, et il ne s’y abandonnait que brisé par l’excès de la fatigue. Retiré au fond d’une casemate, il voyait peu à peu la défection lui enlever ses derniers défenseurs, il ne restait plus autour de lui que quelques séides ou des hommes trop compromis pour conserver l’espoir du pardon. Le 13 novembre 1821, Kurchid reçut un nouveau renfort de troupes asiatiques : l’armée de blocus se trouva ainsi portée à 25,000 hommes. Kurchid fit armer sur-le-champ une flottille dans l’intention d’attaquer l’île du lac. Vers la fin de décembre, le débarquement était opéré ; 450 soldats albanais ouvrirent à Kurchid les portes de la forteresse. Ali fut réduit à s’enfermer avec une soixantaine de ses serviteurs dans la tour où il avait fait transporter des vivres, ses trésors et une énorme quantité de poudre. Là, il menaçait de se faire sauter et d’anéantir tout cet or que ses ennemis ne convoitaient pas moins que sa tête. C’est une des singularités de notre nature qu’il ne soit jamais plus rare de renoncer à la vie qu’à l’heure où la vie n’a plus rien à nous promettre ; nous nous y cramponnons alors avec une ardeur sans égale. Ali avait cent fois bravé la mort sur le champ de bataille ; il se laissa séduire par des promesses de clémence. Il quitta son asile et vint s’établir dans le couvent de Satiras, un des monastères bâtis sur l’Ile du lac, où le sé-