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raskier lui avait fait préparer un logement splendide. Là, pendant sept jours, Ali, déjà au pouvoir de ses ennemis, n’en fut pas moins traité par eux avec la plus grande déférence. Il fallait lui arracher l’ordre de livrer aux troupes du sultan la tour où il avait placé sous bonne garde ses millions. Un autre lui-même, Sélim, veillait sur ce dépôt, et la mèche qui pouvait sur un signe du maître faire tout voler en éclats restait allumée. Ali céda ; ce n’était plus qu’un enfant, jouet de ces artifices grossière qu’il avait lui-même mis tant de fois en usage. Le 5 février 1822, il consentit à donner à Sélim l’ordre de faire évacuer par la garnison le réduit qui renfermait son trésor. Le premier soin des Turcs en entrant dans la citadelle fut de poignarder Sélim. Vers cinq heures du soir, Ali, entouré de ses officiers défaits et accablés, attendait l’acte de pardon qui lui avait été promis. Il vit entrer Méhémet-Pacha, qui avait succédé à Kurchid dans le pachalik de la Morée, Omer Brioni, un de ses anciens partisans qui, dès le début de la campagne, l’avait abandonné, le seliktar de Kurchid et quelques autres officiers de l’armée turque. L’entrevue se passa en paroles courtoises ; mais au moment où les deux pachas allaient se séparer, marchant de front vers la porte de l’appartement, comme le voulait l’étiquette musulmane pour deux vizirs du même rang dans la hiérarchie officielle, à cet instant où Ali s’inclinait pour prendre congé de son hôte, Méhémet tira sort kanjiar et le plongea dans le sein du pacha ; puis, s’avançant avec calme vers la galerie extérieure : « Ali de Tépédélen, dit-il à ses suivans, Ali de Tépédélen est mort. » Le capidji de la Porte entra, sépara la tête du tronc et se dirigea vers la citadelle pour la montrer aux troupes. Les Albanais et les Turcs ne virent pas la chose du même œil, une rixe s’ensuivit dans laquelle il y eut de part et d’autre du sang versé ; mais Kurchid, accouru, rétablit bientôt l’ordre. Il annonça aux mutins que la solde arriérée allait leur être payée et que dans quelques jours l’armée passerait en Thessalie pour se préparer à envahir la Grèce. Là, on trouverait du butin et des esclaves en abondance. Un semblable discours ne pouvait être accueilli qu’avec enthousiasme. Albanais et Turcs firent retentir l’air des mêmes acclamations : « Le chien Ali est mort. Longue vie au sultan Mahmoud et à son vaillant séraskier Kurchid ! » Ainsi passe la gloire de ce monde ! Ainsi en tout pays les masses oublieuses applaudissent au succès !

III

Au mois de mars 1822, voici quelle était la situation générale des choses dans le Levant. Les Albanais étaient sans gouvernement ; la Morée, la Grèce continentale, l’Archipel tendaient à se constituer