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d’économie, il y a surtout une idée originale d’autant plus digne d’attention qu’elle est en parfait accord avec la théorie mathématique de résistance des matériaux. Grâce à ce perfectionnement, ou pour mieux dire à cette invention, les Américains ont d’abord établi des arches de 50 à 60 mètres ; ils sont devenus plus hardis d’année en année, et maintenant ils font des travées de 150 mètres, comme travail courant. Quant aux ponts suspendus, après avoir admis des portées de 200 à 300 mètres sans appui intermédiaire, ils osent en faire de 500 mètres. Le pont de la Rivière de l’Est à New-York, que l’on construit en ce moment, aura 493 mètres entre les deux piles.

Ces détails techniques sont bien arides ; quelques exemples montreront mieux avec quelle adresse on a su les appliquer. Voyons ce qu’est le pont que l’on construit sur le Missouri, entre Omaha et Council-Bluffs, pour relier le chemin de fer du Pacifique aux lignes venant de Saint-Louis et de Chicago. La rivière a 900 mètres de large ; pendant les crues, le niveau s’élève de 8 à 9 mètres au-dessus de l’étiage ; le courant, rapide en toutes saisons, charrie, lors de la débâcle, des glaçons d’énorme volume, des arbres et même des îlots entiers arrachés aux rives. Le lit est formé d’une couche épaisse de sable mouvant ; on ne trouve le rocher qu’à 20 mètres en contre-bas. Ce n’est pas tout ; le Missouri se déplace avec une extrême facilité : on l’a vu se jeter en quelques mois d’un kilomètre à droite ou à gauche de son lit primitif. Tels sont les obstacles exceptionnels contre lesquels il fallait lutter. La difficulté d’asseoir les fondations sur un terrain solide engageait à réduire le nombre des piles, la nécessité de ménager de larges passages pour les bateaux obligeait les ingénieurs à rendre ces piles aussi minces que possible. Le pont d’Omaha que l’on construisait tandis que M. Malézieux accomplissait son voyage aux États-Unis se compose de onze travées de 250 pieds chacune. Le tablier doit être à 50 pieds au-dessus des hautes eaux. Les fondations s’exécutaient par la méthode des tubes à air comprimé, qu’un ingénieur français, M. Triger, a découverte il y a trente ans, et dont les ingénieurs américains savent maintenant se servir dans les cas les plus difficiles. De si grands travaux ne sont plus rares aux États-Unis. A Saint-Louis, sur le Mississipi, on établit un pont de 500 mètres de long en trois travées, avec 15 mètres de large et deux voies superposées, l’une en dessus pour une route ordinaire, et l’autre en dessous pour un chemin de fer ; à Parkersburg, sur l’Ohio, un pont de même longueur, avec des viaducs d’accès qui portent à 1,300 mètres la longueur totale de l’ouvrage ; à Montréal, sur le Saint-Laurent, un pont de vingt-trois travées, dont la plus grande a 100 mètres d’ouverture, pour un chemin de fer à deux voies. De tels ouvrages coûtent fort cher, on le comprend. Le prix de revient d’un pont sur une de ces