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malgré le ton tranchant de sa critique, encouragée d’ailleurs aux paradoxes par les exemples et par l’amitié personnelle de Diderot, — tous avaient à cœur de faire tourner au profit de l’art moderne les souvenirs et les leçons de l’art antique ; tous sentaient qu’en évoquant ces souvenirs, en proposant de pareils modèles à l’étude, ils n’avaient pas seulement la mission d’en prouver l’authenticité ou d’en grossir la liste, et qu’il s’agissait aussi pour eux d’en généraliser l’influence par des explications plus amples que la simple interprétation littérale, plus éloquentes que l’analyse purement scientifique. Avec des élémens d’information nouveaux et le plus souvent avec un talent littéraire supérieur à celui des érudits du XVIIIe siècle, les archéologues de notre temps ont repris cette tâche interrompue pendant une cinquantaine d’années par les tentatives mesquines de l’esprit qui animait leurs prédécesseurs immédiats. Comme Pierre Mariette et comme Caylus, ils travaillent et ils réussissent à faire prévaloir l’autorité de ce qui est beau sur la signification limitée de ce qui n’est que rare ; comme eux encore, ils étendent le champ de leurs observations au-delà des bornes fixées en apparence par la nature spéciale des objets à examiner. Contrôlant les œuvres de la statuaire ou de l’architecture antique par les œuvres de la peinture, les caractères d’un art local par l’histoire politique du pays où il s’est développé ou par les conditions ethnographiques, ils élèvent ainsi la critique partielle à la dignité d’une doctrine d’ensemble et l’étude des choses matérielles à la hauteur d’un exercice philosophique, d’un moyen de progrès pour les idées.

Une différence considérable toutefois est à noter dans les procédés employés aux deux époques pour se procurer des documens. Au XVIIIe siècle, tout se passait à peu près sous le toit des musées ou des bibliothèques. Les savans, comme les simples curieux, ne consultaient guère que des monumens isolés de leur milieu primitif ou, s’ils interrogeaient les ruines antiques sur le sol même qu’elles couvraient, c’était après que d’autres mains que les leurs les avaient recherchées et mises en lumière. Aujourd’hui les travaux de l’érudition sont les résultats d’entreprises tentées à force ouverte, d’efforts directs pour reconquérir ce que la terre avait enseveli. C’est à des ruines déblayées par leurs soins, à des fouilles poursuivies sous leurs yeux, que les archéologues demandent les secrets qu’on se contentait autrefois d’étudier en face de morceaux recueillis d’avance et déjà classés. Quelque chose de l’ardent intérêt qu’excitent la chasse et ses incertitudes, des espérances fiévreuses qu’éprouve le navigateur à la recherche d’un rivage inconnu, se mêle ainsi aux supputations scientifiques, aux patiens calculs de l’esprit. Tandis que le cœur bondit à chaque coup de pioche et que le regard plonge avidement dans chaque tranchée, la tête travaille