Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/579

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont le temps a heureusement fait justice, quelques mauvaises estampes sans style ni caractère, qu’on dirait achetées au hasard et au rabais sur les quais, c’est là tout ce qu’on offre à des enfans pour qui l’étude du dessin devrait être poussée aussi loin que possible. Il y a là certainement une erreur, un oubli qu’il est facile de réparer. Les modèles d’ornementation sont aussi pauvres que les modèles d’art ; toutes ces vieilleries doivent être jetées au panier sans délai et renouvelées au plus tôt. C’est là du reste le vice très apparent de l’institution ; l’élément plastique, utile à tout le monde, indispensable à des enfans qui demandent tout au sens de la vue, fait radicalement défaut. Je n’y ai aperçu que deux ou trois vieilles cartes géographiques. Un seul tableau emphatique et prétentieux occupe le fond d’un couloir ; sous prétexte d’histoire, il représente un fait romanesque, absolument faux, emprunté non pas à la biographie de l’abbé de l’Épée, mais à la comédie de Bouilly. Sur ces vastes murailles, dont la nudité est désolante, je voudrais voir des séries de gravures et de lithographies, de cartes et de planches d’histoire naturelle ; je voudrais qu’on pût montrer à ces malheureux les principaux épisodes de notre histoire nationale, l’aspect des diverses contrées du globe, l’image des différentes nations, qu’ils eussent, une fois par semaine, une séance de microscope à gaz. Ne pourrait-on pas utiliser une portion du jardin à faire modeler une carte de France en relief par les sourds-muets eux-mêmes ? Quelques tombereaux de terre glaise suffiraient, et l’on obtiendrait ainsi un double résultat qu’il est bon de signaler. Ce serait d’abord pour les élèves un exercice excellent qui développerait leur adresse, exciterait leur émulation et leur donnerait des notions positives sur la configuration de notre pays ; de plus ce travail, une fois terminé, attirerait l’attention du public et exciterait son intérêt en faveur d’une institution qui, après avoir joui pendant de longues années d’une réputation universelle, est aujourd’hui comme délaissée. On dirait qu’elle n’a plus de vitalité propre, qu’elle ne subsiste plus qu’en vertu de l’impulsion reçue jadis. Elle est la maison-mère, et elle n’a aucuns rapports avec les quarante établissemens qui abritent environ 1,500 sourds-muets en France, où les statistiques en constatent plus de 30,000. Les théories d’enseignement pratiquées dans ces différens instituts sont vagues et sans liens entre elles : ici c’est la dactylologie qui prévaut, là c’est la mimique, ailleurs c’est l’articulation ; pourquoi ne pas former un corps de doctrines expérimentées, et ne pas mettre tous les professeurs en relation les uns avec les autres par un journal mensuel, afin que chacun pût formuler les améliorations dont ces pauvres enfans profiteraient ? C’est une école, et je n’y vois aucun livre spécial, pas même